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« Ils ont un imaginaire très fort » - Une interview de Sofi Jeannin, directrice musicale de la Maîtrise de Radio France

Queue de cheval en bataille, Sofi Jeannin, la jolie franco-suédoise que Radio France s’est attachée pour sa Maîtrise en mars 2008, remplit sa mission en pasionaria. Il faut la voir houspiller, câliner, flatter de la main gauche et cravacher de la droite ses troupes parfois indociles. L’enjeu n’est pas mince : une trentaine de concerts annuels spécifiques ou avec les formations prestigieuses de la maison, un engagement permanent pour l’enseignement et le défrichage de ces jeunes voix, à Paris, à Bondy, nouveau site depuis 2007, et dans les classes parisiennes non maîtrisiennes qui participent à des projets ponctuels dans le cadre de spectacles pour le jeune public. Une tension, un bonheur aussi de chaque instant.

Pour l’heure, outre le War Requiem à Saint-Denis, et juste après la Symphonie « des Mille » de Mahler, vous préparez la création de l’Atelier du nouveau Monde de Julien Joubert ?

Sofi JEANNIN : L’Orchestre Philharmonique a demandé la partition à ce compositeur, lequel est aussi un très bon pédagogue. Ils seront 17 musiciens, outre Victor Jacob, professeur à la maîtrise, qui sera récitant et maître du jeu. Commandé par l’Académie musicale de Villecroze, ce projet a ceci de très original qu’il rassemble, outre environ un tiers d’éléments venus de la Maîtrise proprement dite, quatre classes parisiennes choisies dans leur entier par des professeurs initiés au préalable. Les répétitions, commencées il y a un an, font alterner deux classes par distribution, puisqu’il y aura deux représentations. Le texte mêle habilement des allusions à leur programme scolaire, qui traite du XVe siècle, à la musique vive et tonique de Julien Joubert.

Y a-t-il des nouveautés dans la vie de l’Ensemble ?

S.J. : C’est surtout, en 2011, l’arrivée dans la Maîtrise, d’enfants préparés sur le site de Bondy, en quatre années de formation. On va les chercher dans le quartier nord, zone sensible, à partir de 7 ans, et on en fait travailler une soixantaine au primaire, en commençant par une petite initiation à la musique. Pour les parisiens, on ne prend que des candidatures spontanées, à partir de 9 ans.

Que privilégiez-vous dans le choix des programmes ?

S.J. : Outre les concerts du grand répertoire auxquels ils participent, comme La Flûte Enchantée et Parsifal, je souhaite les familiariser avec le répertoire baroque, notamment Purcell, et la pratique de la musique contemporaine. Ils participeront au festival Présences, où ils créeront Faits divers, une œuvre de l’invité 2012, Oscar Strasnoy, pour maîtrise et ensemble.

J’ai également très à cœur de déterrer des petites merveilles chorales tombées dans l’oubli, ainsi ces Chants de marin harmonisés par Dutilleux après la guerre. En mars 2011, nous donnerons ainsi pour le public familial, séance où chaque adulte doit être accompagné d’un enfant de 8 ans minimum, le conte lyrique d’Henri Sauguet, Tistou les pouces verts.

Leur rapport à la beauté ressemble-t-il à celui des adultes ?

S.J. : Ils ont un imaginaire très fort, et j’essaie d’abord de leur donner les moyens de s’approprier une œuvre, même si elle ne les séduit pas de prime abord. Lorsqu’ils disent « je n’aime pas », je leur réponds  «est-ce intéressant de dire cela» ? Ensuite, ils y pénètrent et le rapport devient différent. Pour Mahler, ils ont été emportés dans le gigantisme de la Symphonie, mais j’ai eu beaucoup de mal à les diriger dans les Litanies à la vierge noire de Poulenc, car leur chef précédent Toni Ramon les leur faisait répéter quand il est mort. Ils pleuraient en chantant. Quant à Bach, lorsque nous avons donné le Psaume 50, à partir du Stabat Mater de Pergolèse, ils s’y sont accrochés comme si leur vie en dépendait. On est toujours sur le qui vive et surpris en dirigeant des enfants. C’est passionnant et souvent si drôle. Une chose est sûre : les maîtrisiens sont des enfants plus ouverts que les autres. Tous les professeurs en sont conscients.

Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, les 24 mai et 6 juin 2011.

Britten : War Requiem de Britten
le 16 juin 2011
Basilique de Saint-Denis
Orchestre National de France, direction Semyon Bychkov
avec Marina Poplavskaya, Toby Spence et Matthias Goerne.
www.festival-saint-denis.com

L’Atelier du Nouveau Monde, de Julien Joubert, texte de Gaël Lépingle
Création le 25 juin 2011, à 11 et 19h
Théâtre le Monfort (106, rue Brancion – 75015 Paris)

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Photo : Christophe Abramowitz
 

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