Journal

Il Segreto di Suzanna et La Voix humaine à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège - Portraits de femme

Anna Caterina Antonacci retrouve les deux héroïnes qu’elle avait déjà mises en regard sur la scène de Favart en mars 2013 : Elle de La Voix humaine, et la subtile Susanna de ce Segreto si finement brossé par Ermanno Wolf-Ferrari (1876-1948). Le spectacle au cordeau de Ludovic Lagarde trouvera heureusement un peu plus d’espace sur la scène de l’Opéra de Liège, les entrées- sorties-dissimulations du Segreto s’y trouveront  à l’aise, avivant une régie pleine de fantaisie. Quel rapport entre les deux œuvres sinon leur brièveté, leur acte unique ? Aucun.

Poulenc a écrit sa mise en musique du monologue de Cocteau expressément pour Denise Duval, et non pas en pensant à Maria Callas comme le fit croire une rumeur qui courait le tout Paris à l’époque. Sa « Tragédie lyrique » (c’est la caractérisation que porte la partition) est le dernier avatar que connaîtra la pièce écrite par Cocteau en 1930 et qui fut créée par Berthe Bovy à la Comédie française deux années plus tard. Suivirent l’adaptation cinématographique de Rossellini avec Anna Magnani et un policier radiophonique franchement déduit des procédés de Cocteau signé Lucille Fletcher, qui trouvera lui aussi sa voix au cinéma sous la direction d’Anatole Litvak et avec Barbara Stanwyck (Raccrochez, c’est une erreur). Ce théâtre de l’intime exposé avec délectation tend en fait à Poulenc un miroir pour dire sa désespérance amoureuse. Le texte de Cocteau est pétri d’allusions homosexuelles, et comme le compositeur le déclarait sans ambages : « Elle, c’est moi », paraphrasant Flaubert au sujet de Madame Bovary.

En face de ce drame qui se clôt sur un suicide plus symbolique qu’avéré, les mélomanes de l’Opéra de Liège verront donc paraître la piquante comédie  de Wolf-Ferrari, où un mari jaloux soupçonne un amant alors que Susanna le trompe en fait avec… une cigarette. Argument délicieux, écrite brillantissime, ce joyaux d’orchestre et de voix est un chef-d’œuvre où s’illustrèrent Maria Chiara et Renata Scotto (le disque les y captura toutes deux), créé le 4 décembre 1909 au Hoftheater de Munich. Mine de rien le théâtre si vif de cet ouvrage est artistement composé, enchaînant d’un même geste dialogues parlés, ariosos, récitatifs fluides, tout y est ajusté pour produire un effet d’horlogerie sonore frôlant la perfection. Anna Caterina Antonacci y était prodigieuse à Favart, ne laissez pas passer l’occasion, d’autant qu’après Pascal Rophé à Paris c’est l’excellent Patrick Davin qui tient la baguette à Liège.

Jean-Charles Hoffelé

logo signature article

Wolf Ferrari : Il Segreto di Susanna / Poulenc : La Voix humaine
24, 27, 30 janvier, 2, 5 février 2016
Liège - Opéra Royal
www.concertclassic.com/concert/il-segreto-di-susanna-la-voix-humaine-0
 
Photo Anna Caterina Antonacci © Pierre Grosbois

Partager par emailImprimer

Derniers articles