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Idomeneo, Re di Creta de Mozart selon Satoshi Miyagi au Festival d’Aix-en-Provence 2022 – Sayonara Satoshi ! – Compte-rendu
Un roi, un peuple, un sacrifice, une guerre, l’amour. Entre mythe et réalité un pont s’est formé entre la tragédie grecque d’Idoménée et l’histoire du Japon au soir de la deuxième guerre mondiale. Satoshi Miyagi s’y est engagé mais le pont a cédé entraînant avec lui l’esthétisme du scénographe (Junpei Kiz signe les décors) et, c’est plus dommageable, les promesses musicales et vocales qui accompagnaient une distribution de prestige.
© Jean-Louis Fernandez
Pour sa première au Festival d’Aix-en-Provence, le metteur en scène japonais a fait tout faux. Au départ, sans être iconoclaste, son propos semblait intéressant : établir un parallèle entre la tragédie crétoise et le Japon de 1945. D’une île à une autre ça pouvait marcher. Mais d’entrée de jeu Miyagi est à côté de la plaque en détruisant le côté émotionnel de l’œuvre, ôtant toute humanité à ses personnages perchés sur des cubes et autres parallélépipèdes symbolisant des embarcations et qui n’arrêtent pas de bouger, donnant presque le tournis.
Chantant à deux mètres de hauteur (en moyenne) et à trois ou quatre mètres (toujours en moyenne) les uns des autres, difficile de faire passer les sentiments, d’incarner l’amour d’Ilia pour Idamante, celui, paternel d’Idoménée pour son fils ou encore la passion d’Electre. De même que les questionnements des uns et des autres par rapport à leur condition et leurs relations aux dieux sont occultés.
© Jean-Louis Fernandez
Chacun est dans sa bulle, sur sa bulle même, et livre ses airs comme au concert alors que sur scène, la soldatesque nippone se livre à d’improbables danses, ne réussissant à séduire qu’en donnant des chœurs de belle qualité ; loués soient, en la circonstance, le chœur Pygmalion et les renforts du chœur de l’Opéra de Lyon. Examen de passage loupé pour Miyagi avec, pour enfoncer le clou, une machinerie défectueuse qui privera la scène finale de la totalité de son effet. Comme quoi, quand ça ne va pas, ça ne va pas ! Sayonara Satoshi.
© Jean-Louis Fernandez
Dans ces conditions il devenait difficile aux musiciens et à la distribution réunie d’inverser le sens de l’histoire. On sait combien les lectures des partitions par Raphaël Pichon sont précises ; il fouille, décortique, perçoit l’âme de la musique avant de la partager. Et pour cet Idoménée, il n’a pas failli à la règle. Sa direction, d’une intelligence élégante, donne à entendre une musique qui se savoure comme un bonbon dont le côté légèrement acidulé doit être conforté par l’action sur le plateau. Hélas ce n’était pas le cas et le beau son de l’ensemble Pygmalion a été gaspillé.
Du côté des solistes, la seule qui bénéficiait d’une présence active sur le plancher des vaches, c’était l’Electre de Nicole Chevalier qui en a bien profité, se taillant un beau succès aux saluts. Coincée sur son rocher, dans une robe immaculée à la Marilyn, Sabine Devieilhe a souffert pour tenter de faire vibrer les cordes sensibles des uns et des autres ; en vain. En Idoménée, Michael Spyres s’est lui aussi démené avant de baisser pavillon devant l’adversité. L’Idamante d’Anna Bonitatibus ne laissera pas un souvenir impérissable tout comme l’Arbace de Linard Vrielink et le grand prêtre de Kresimir Spicer. Tous auront cependant bien mérité de la patrie pour leurs efforts louables, mais, on vous le dit, quand ça ne va pas, ça ne va pas… Sayonara Mozart !
Michel Egéa
Mozart : Idomeneo, Re di Creta au Théâtre de l’Archevêché, le 6 juillet ; prochaines représentations les 8, 11, 13, 15, 19 et 22 juillet 2022. Diffusion en direct le 11 juillet à 21h 30 sur France Musique et en différé, le 16 juillet à 22h 35 sur Arte et Arte Concert // festival-aix.com/fr/evenement/idomeneo-re-di-creta
Photo © Jean-Louis Fernandez
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