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Hommage à Pierre Boulez la Philharmonie de Paris – Le juste écho – Compte-rendu

Conçu comme « bras séculier de l'Ircam », selon l'expression-même de  Pierre Boulez (photo), son père-fondateur, créé avec l'appui de Michel Guy, alors Secrétaire d'Etat à la Culture, l'Ensemble Intercontemporain fête cette saison ses quarante ans d'activité. Âge de la pleine maturité, de la vitalité la plus souveraine, comme en témoigne ce concert symbolique en hommage à Pierre Boulez, disparu il y a un peu plus d'un an, le 5 janvier 2016.

Le programme se conforme à la pédagogie boulézienne la plus orthodoxe, avec, en première partie, référence et révérence aux prophètes viennois de la modernité, Schoenberg et Webern. La Symphonie de chambre op. 9 du premier, pour quinze instruments solistes, composée d'un seul tenant mais d'une polyphonie alerte et aérée, appartient, comme Pierrot lunaire, à la période la plus libre et la plus inventive du musicien. Pierre Boulez s'est inspiré de sa forme ramassée pour sa propre Sonatine pour flûte et piano, en 1946. La direction lumineuse de Matthias Pintscher manifeste ses atouts habituels de lisibilité, de respiration et d'élégance. L'ensemble intercontemporain peut se féliciter d'avoir à sa tête, depuis 2013, un directeur musical d'une compétence et d'une autorité si naturelles. Mathias Pintscher.

Pierre Boulez et Matthias Pintscher © matthiaspintscher.com
 
Cette maîtrise de haut vol se confirme avec les pièces vocales de Webern, très rarement données. On comprend vite pourquoi ! Ce sont des lieder à la brièveté de haïkus, aux arabesques mélodiques et aux couleurs instrumentales dignes d'estampes japonaises : dépaysement et étrangeté garantis ! Aussi familière du répertoire baroque (avec René Jacobs) que du contemporain, la soprano coréenne Yeree Suh — aigus immatériels, graves feutrés —  se joue des difficultés avec un aplomb confondant : intervalles distendus, intonation acrobatique, poèmes elliptiques qui offrent à peine quelques minutes pour créer un climat … Les instruments (notamment une guitare et une mandoline, empruntées aux musiques de nuit de la Septième Symphonie de Mahler, que Webern admirait tant) sont soumis à la même diététique parcimonieuse. De cette raréfaction sonore naît une tension, presque un recueillement, palpable dans la concentration du public. Ce n'est pas le moindre mérite des interprètes d'avoir maintenu cette qualité d'écoute extrême, dans la vaste nef de la Philharmonie.
Matthias Pintscher © matthiaspintscher.com

Les quarante minutes de Sur Incises apportent ensuite une sorte de défoulement récréatif, des plus ludiques. Œuvre à la gestation typiquement boulézienne, conçue à partir d'une page pour piano (Incises, épreuve pour un concours), puis développée par prolifération et dissémination, selon un dispositif spatial singulier : trois groupes formés chacun d'un piano, d'une harpe, et de percussions. Grand opus de l'après-Répons, Sur Incises, composé entre 1996 et 1998, exalte les vertus de la vitesse (tempi souvent « prestissimo ») et les prestiges de la résonance (opposition entre temps lisse et temps strié, voire tagué). Matthias Pinscher et ses partenaires savent trouver, là encore, le juste écho qui fait ressortir de la musique de Pierre Boulez son éclat, sa richesse, sa solidité.
 
En marge du concert de la Philharmonie, dans la rue musicale de la Cité de la musique, une installation vidéo rappelle le chef d'orchestre que fut Pierre Boulez, à la battue si personnelle (1). Poignet souple, expression du visage neutre, il dirige sa partition Mémoriale, les musiciens n'apparaissant pas à l'écran. Il est filmé seul, de face, en plan fixe, impassible et impavide. « Tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change » ...
 
Gilles Macassar

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(1) Le Maître du temps : Pierre Boulez dirige Mémoriale, installation vidéographique de Robert Cahen (2011), visible jusqu'au juin 18 juin 2017
 
 Paris, Philharmonie, Salle Pierre Boulez, 18 mars 2017

Photo © Jean Radel

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