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Henri Dutilleux (1916-2013) - Le dernier artisan des sons - Hommage Concertclassic

Le compositeur français Henri Dutilleux est mort le 22 mai, peu avant midi, dans son appartement de la rue Saint Louis en l’Ile. L’Ile Saint-Louis était son village et depuis des décennies, les commerçants avaient l’habitude de saluer « Monsieur Henri ». Car c’était un homme d’habitudes et de fidélité aux êtres et aux choses. Ainsi sera-t-il inhumé le 27 mai au cimetière du Montparnasse auprès de son épouse, la pianiste Geneviève Joy, à deux pas de la brasserie dont il avait fait sa cantine depuis des lustres.

Cet homme du Nord né par les hasards de la Grande Guerre en 1916 sur les bords de Loire, à Angers, avait acquis une petite maison de grand caractère à Candes-Saint-Martin au confluent de la Vienne et de la Loire. Il avait voulu garder le contact physique avec un fleuve qui l’avait marqué profondément, comme avec sa faune et sa flore dont le spectacle l’inspirait. Nul doute qu’il y puisait au cours de ses séjours secrets la formidable énergie qui le caractérisait et lui permit d’atteindre son grand âge en triomphant d’un redoutable cancer.

Car l’enveloppe d’un homme affable et attentif à l’autre cachait un créateur d’une vigueur, voire d’une violence insoupçonnées que révèle d’abord son œuvre symphonique, probablement la plus originale et la plus ancrée dans la tradition nationale inculquée par ses maîtres du Conservatoire de Paris et d’abord Maurice Emmanuel. Avant de « monter à Paris », le jeune Henri avait fait ses classes à Douai où sa famille paternelle possédait une imprimerie. C’est dans cet atelier désert le dimanche qu’il se souvenait avoir fait ses premiers travaux de composition dans l’odeur d’encre dont il conservait pieusement la nostalgie : il avait du reste installé un des pupitres en bois fruitier maculé d’encre de cet atelier d’enfance sur lequel il écrivit la plupart de ses œuvres.

Il faut sans aucun doute y chercher l’origine du soin vétilleux qu’il mettait à calligraphier partitions et lettres à ses amis écrites avec une élégance rare. L’arrière grand-père Constant Dutilleux était peintre et ami intime de Delacroix dont il fut l’exécuteur testamentaire : ce qui explique que les fameux portraits de Chopin et George Sand se retrouvèrent un temps dans la famille Dutilleux… Une vraie prédestination dont Henri Dutilleux ne tirait nulle fierté. Côté maternel, le grand père Julien Koszul, ami de Fauré et de Saint-Saëns, dirigeait le Conservatoire de Roubaix. Ainsi l’œil et l’oreille allèrent-ils toujours de pair chez lui au point que Timbres, espace, mouvement fut directement inspiré par La Nuit étoilée de Van Gogh. Homme d’une incroyable culture, Dutilleux prisait aussi la poésie qu’il mit en musique de Jean Cassou à Baudelaire.

Il composa pour les plus grands interprètes, de Charles Munch à George Szell en passant par Désormière, Ozawa, Rattle, Stern, Rostropovitch, etc. Ce gentleman raffiné et attentif aux autres savait aussi obtenir ce qu’il avait décidé, et pas seulement pour lui. Il pouvait se révéler d’un volontarisme incroyablement efficace. D’un an plus jeune que Marcel Landowski, il lui resta fidèle dans la querelle qui l’opposa dans les années 60-70 au benjamin Pierre Boulez. Mais Dutilleux ne se brouilla pas pour autant avec l’auteur du Marteau sans maître avec lequel il entretenait des relations amicales et confraternelles. Sans doute aura-t-il secrètement regretté que Boulez ne dirige jamais une de ses œuvres… Son soutien à Marcel Landowski n’alla pas jusqu’à se laisser entraîner à l’Institut où il refusa d’entrer. Il ne méprisait pas pour autant les honneurs : il était avec Messiaen le seul compositeur Grand Croix de la Légion d’Honneur.

Avec Dutilleux disparaît le dernier des musiciens qui écrivaient à l’oreille et au piano, sans recourir à la technologie. Mais le dieu de l’inspiration ne l’a pas boudé pour autant.

Jacques Doucelin

Photo : Schott Promotion / Milan Wagner
 

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