Journal

​ Henri Collet (1885-1951), musicien parisien et castillan – L’inventeur des Six

 

Les éditions Bleu Nuit viennent de sortir dans leur collection de poche Horizons Tomás Luis de Victoria par Henri Collet (photo), en attendant un autre livre du même auteur, Isaac Albéniz & Enrique Granados, prévu dans cette même collection. L’occasion de se pencher sur ce personnage, qui fut surtout un compositeur, aujourd’hui trop souvent méconnu, dont on commémore les 70 ans de la disparition.
 
L’inventeur du Groupe des Six

 
Paradoxalement, Henri Collet (1885-1951) a essentiellement laissé son nom pour avoir été l’inventeur et le promoteur du Groupe des Six, rassemblant en 1920 les six compositeurs français : Francis Poulenc, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Georges Auric, Germaine Tailleferre et Louis Durey. Les deux articles des 16 et 23 janvier 1920 dans le journal Comœdia qui lancèrent le fameux Groupe sont ainsi souvent cités dans les monographies, en qualifiant leur auteur de critique musical. Mais Collet fut beaucoup plus que cette simple étiquette qu’on lui a accolée, compositeur abondant et musicologue éclairé.
 
Début de l'article d'Enri Collet dans le Comoedia du 16 janvier 2020 © Gallica BnF
 
Ce fut ainsi et surtout un compositeur, parisien mais se disant « compositeur castillan », avec quelque deux cents opus pour tous types de formations, et comme musicologue, un spécialiste de la musique espagnole et auteur de plusieurs ouvrages. Né à Paris dans une famille mélomane, il montre très vite des dispositions pour la musique et prend des cours auprès d’un professeur de piano puis, entre des séances familiales de musique de chambre, se produit même en public comme pianiste au Conservatoire du IXe arrondissement de son professeur. Avant sa dixième année, déjà un surdoué en musique ! En 1894, sa famille déménage pour Bordeaux où il perfectionne son apprentissage et sa technique auprès des meilleurs maîtres organistes de la cité, participe à différents petits concerts comme pianiste, organiste et même altiste, à côté d’une scolarité brillante (baccalauréat obtenu à quatorze ans et demi !). C’est alors qu’il part pour la voisine Espagne au cours de l’été 1900, premier voyage dans ce pays qui devait en augurer de nombreux autres. Puis, en 1902-1903, c’est un séjour prolongé de deux ans en Castille et à Burgos où il se lie avec Federico Olmeda (1855-1909), compositeur fécond devenu son maître et rencontre capitale. Collet restera un constant admirateur d’Olmeda dont il revendiquera l’influence dans son inspiration musicale. Les deux hommes parcourent les chemins de Castille, à dos d’âne, pour recueillir à travers monastères et abbayes les traces des musiques traditionnelles. Butin exceptionnel et séjour fondamental dans la formation et le développement de l’esthétique de Collet compositeur.
Après son retour à Paris et devenu musicien établi, les périples et séjours en Espagne se feront réguliers, où il rencontrera entre autres Felipe Pedrell (1841-1922), autre influence déterminante (et musicien pour lequel toutefois par la suite il émettra certaines réserves, à l’encontre de sa fidèle admiration pour le métier d’Olmeda).
 
Une œuvre diverse et abondante

Les compositions se suivent alors, touchant à tous les domaines : pour piano, piano et chant, musique de chambre, chœurs, musique religieuse, orchestre, musique de théâtre. Après une première mélodie Angoisse datée de 1904 (écrite en Espagne), vient le cycle Cinq Poèmes de Francis Jammes pour chant et piano (qui laissera une trace dans Nuits dans les jardins d’Espagne de Manuel de Falla, autre compositeur espagnol avec lequel Collet avait frayé), puis le poème symphonique El Escorial, les trois recueils de Chants de Castille, le cycle de mélodies Poema de un día, la Sonate Castillane et le Trio Castillan (dédié à Falla). Parmi d’autres œuvres d’une floraison foisonnante (seulement interrompue par la guerre de 14-18 et son engagement au Ministère de la Guerre à Paris). Se relève ainsi la constance de l’inspiration ibérique de sa production.
 
Nous atteignons les années 1920 chez un compositeur désormais assis, reconnu et joué dans les cénacles parisiens (mais aussi madrilènes). Collet est également établi comme chroniqueur et critique musical dans différents périodiques (dont Comœdia et les deux articles qui ont tant fait pour sa réputation), et comme auteur d’ouvrages de musicologie, portant principalement sur la musique espagnole. Aux côtés de Tomás Luis de Victoria et Isaac Albéniz & Enrique Granados (1919), il y aurait à citer en ce domaine Le Mysticisme musical espagnol au XVIsiècle (1913) et surtout L’Essor de la musique espagnole au XXe siècle (1929), livre essentiel sur le premier tiers du siècle prospère de cette musique, mais même aussi un roman (L’Île de Barataria, inspiré de Cervantès, dédié « à Maurice Barrès, in Memoriam » et Prix National de Littérature en 1929). C’est alors pour notre compositeur la série continue de grandes pages musicales, aussitôt jouées et représentées : l’opéra-comique Godefroy sur un poème de Courteline, le Ballet andalou, le ballet-pantomime Los Toreros, l’opéra La Chèvre d’or, l’opéra de chambre Les Amants de Galice, entre des pages symphoniques dont les deux versions de Concerto flamenco pour violon et pour piano ou la Symphonie de l’Alhambra.

Une œuvre abondante et diverse, dont l’esthétique tonale élargie se distingue par un art de la concision, voire de l’ellipse qui confine parfois à l’ascétisme, mais toujours dans un esprit de séduction. « Ma musique est faite pour des jours heureux et des gens heureux ; elle est mélodique, rythmique et colorée », aimait-il à dire. Le temps est-il venu de son retour au répertoire ?... Puisque le temps semble celui du retour au plaisir en musique, comme ce le fut du retour de ses contemporains Ropartz, Caplet ou Jean Cras naguère relégués dans les vieilles lunes et désormais rétablis dans leur juste reconnaissance. Notons déjà, comme prémices, qu’un square porte le nom Henri Collet à Paris, dans le XVIarrondissement, non loin de la Maison de la Radio et non loin de l’immeuble 104, rue de la Tour où il avait vécu (immeuble qui porte pour sa part une plaque commémorant son ancien occupant).

 

Victoria

S’ajoutent à son attachante personnalité, ses inestimables travaux de musicologue, comme nous disions. Arrêtons-nous – actualité oblige ! – sur son livre récemment ressorti. Il s’agit d’un rare ouvrage sur ce compositeur essentiel de la Renaissance et même le seul livre en français sur Victoria (parfois orthographié Vittoria, à l’italienne). Alors que les monographies en anglais, en allemand, en espagnol bien sûr, ou même en italien, sur ce musicien espagnol de la Renaissance, ne se comptent pas. Étrange paradoxe, d’autant que la musique de Victoria n’en figure pas moins régulièrement au répertoire des concerts, surtout choraux, de France et d’ailleurs ! En l’espèce, ce livre écrit par Collet est une réédition d’un ouvrage très ancien, publié en 1913. Depuis lors, aucune autre publication dans la langue de Molière sur le sujet n’est venue s’ajouter. C’est donc une réédition tout à fait opportune et bienvenue, chez Bleu Nuit éditeur (n° 82 de la collection Horizons). De plus, cette nouvelle parution s’agrémente, à l’instar de la collection, d’illustrations iconographiques, d’exemples musicaux, d’annexes bibliographiques et discographiques, d’informations inédites, qui ne figuraient pas dans le texte original. Un livre ancien, mais remis au goût du jour et devenu attrayant, qui reste ainsi d’actualité. Au gré de pages abondamment illustrées, le lecteur se retrouve guidé sur la vie et l’œuvre de Tomás Luis de Victoria. De l'existence de ce compositeur, on apprend ainsi que né vers 1548 en Espagne dans la province d’Avila, où il reçoit sa première formation musicale, il devait ensuite, avec le soutien de Philippe II, partir pour Rome (alors très lié à la couronne espagnole), y rester une vingtaine d’années, rencontrer Palestrina, suivre les cours du Collegium Germanicum puis y enseigner la musique, composer et faire jouer ses œuvres. De retour à Madrid, sa production musicale ne cessera plus, jusqu’à sa mort en 1611. Son œuvre, essentiellement chorale et religieuse, compte plus de 200 opus, répartis entre messes, motets et autres passions, devenus depuis lors le répertoire obligé de toutes les chorales (notamment britanniques). L’inspiration et la complexité de son style polyphonique l’ont fait surnommé par différents auteurs « le Bach espagnol » (bien qu’antérieur de près de deux siècles à Bach !). Son répertoire, reflet d’un Siècle d’Or espagnol florissant dans les arts, reste un monument de la musique du XVIsiècle. On l’aura compris : un livre indispensable.
 
Pierre-René Serna

Une précieuse monographie sur Henri Collet, par Jean Gallois, éditions Papillon, collection Mélophiles, 2001.
 
Peu de disques consacrés à la musique de notre compositeur. Signalons toutefois : Cantos de España, par la soprano Rachel Yakar et Claude Lavoix au piano (Claves) ; Concerto flamenco pour violon et orchestre, Concerto flamenco pour piano et orchestre, Symphonie de l’Alhambra, Régis Pasquier violon, Ricardo Requejo piano, Real Orquesta Sinfónica de Sevilla, dir. Gary Brain (Claves) ; ¡Alegria!, œuvres pour piano par Pascal Gallet (Maguelone).
 
Henri Collet : Tomás Luis de Victoria - Bleu Nuit éditeur, collection Horizons n° 82, 176 pages, 20 €. À noter la toute récente parution discographique de Officium Defunctorum (Office des défunts), peut-être le chef-d’œuvre de Victoria, premier enregistrement mondial de la version complète : ensemble La Grande Chapelle sous la direction d’Albert Recasens (2 CD Lauda)
 
Photo © DR
Partager par emailImprimer

Derniers articles