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Hamlet d’Ambroise Thomas à l’Opéra-Comique – Le théâtre et son double – Compte-rendu

Ambroise Thomas (1811-1896) devait accomplir avec Hamlet la plus vaste ambition de sa carrière. Créée solennellement à l’Opéra de Paris en 1868, la partition connut un succès immédiat, avec des interprètes recrutés parmi les grands gosiers de l’époque, pour se maintenir à l’affiche jusqu’en 1938. Puis ce fut l’oubli, avant une résurrection à partir des années 1990 sur différentes scènes internationales, grâce en particulier au baryton Thomas Hampson qui s’en était entiché. C’est ainsi que l’opéra avait été représenté en 2000 au Capitole de Toulouse et repris dans la foulée au Châtelet parisien.
 

Sabine Devieilhe (Ophélie) © Vincent Pontet

L’œuvre ne démérite pas de sa réputation ancienne, ni de son actuel retour sur les planches. Ambroise Thomas est un musicien habile, qui sait tourner et emboîter une continuité musicale pour atteindre dans Hamlet une réelle cohérence, entre des airs faire-valoir (obligés pour l’époque), quelques passages assez soutenus en arioso et une orchestration bien faite. Mais sans surprise, ni réel génie. Une « musique ni bonne ni mauvaise », pour paraphraser les propos de Chabrier sur son confrère. Le livret, dû pour sa part à ces faiseurs de l’époque que sont Michel Carré et Jules Barbier, sait aussi camper les situations, parfois convenues sur un texte qui l’est autant, avec quelques absurdités également dans l’air du temps (c’est ainsi que passent à la trappe divers épisodes du drame de Shakespeare, et que le héros Hamlet finit vivant et couronné roi !).
Mais c’est tout à l’honneur de l’Opéra-Comique, et conforme à sa mission en faveur du répertoire lyrique français, que de remettre à jour l’Hamlet d’Ambroise Thomas (dans ce cas, à l’appui de la toute récente édition critique de la partition due à Hugh Macdonald chez Bärenreiter). D’autant que pour ce spectacle de plus de trois heures (malgré la coupure du ballet), les meilleurs ingrédients sont mis à son service.

Laurent Alvaro (Claudius), Jérôme Varnier (Le Spectre) © Vincent Pontet

On ne peut ainsi rêver plateau vocal plus adapté. Stéphane Degout s’empare du rôle-titre avec un art consommé du legato et de l’articulation, à travers une projection souveraine. Autre étoile de la production, Sabine Devieilhe domine resplendissante le rôle lourd et exigeant d’Ophélie, coloratoure échevelée comprise. Grande triomphatrice également, Sylvie Brunet-Grupposo lance une reine Gertrude de large plénitude servie par son mezzo éminemment dramatique. Puisque l’opéra fait la part belle aux exploits vocaux. Pareillement, les rôles secondaires échoient à des chanteurs au solide métier éprouvé, dont Jérôme Varnier (impressionnant Spectre), Laurent Alvaro (Claudius) et Julien Behr (Laërte). Et tous, parmi cette distribution puisée au gratin du chant français actuel, avec une élocution parfaite.

Stéphane Degout (Hamlet), Sabine Devieilhe (Ophélie), Laurent Alvaro (Claudius), Sylvie Brunet-Grupposo (Gertrude) © Vincent Pontet
 
Dans des interventions bien profilées, le chœur Les éléments n’est pas en reste de lyrisme, en dépit d’interventions dispersées dans la salle et même sur le plateau (bravo à la préparation de Joël Suhubiette !). Alors que l’Orchestre des Champs-Élysées fait montre d’une belle cohésion, avec des effets de spatialisation bien dosés, sous la battue nerveuse mais précise de Louis Langrée.
Quant la mise en scène de Cyril Teste, qui s’essaye pour la première fois à l’opéra, elle vise tout aussi juste. Les intervenants évoluent en costumes actuels, sur un plateau ponctué de rares éléments blanchâtres (estrades, portiques, tables, éternel lit…) et une action filmée en direct projetée sur écran géant qui monte et descend. Des allées et venues entre la salle et la scène complètent des apparitions de personnages en phase avec l’intensité de leurs émotions. Immédiatement prenant et parlant. Pour une réussite d’ensemble en forme d’exemplarité, propre à gratifier la politique artistique de l’Opéra-Comique.
 
Pierre-René Serna

Ambroise Thomas : Hamlet – Paris, Opéra-Comique, 17 décembre. Prochaines représentations : 19, 21, 23, 27 et 29 décembre 2018 / www.opera-comique.com/fr/saisons/saison-2018/hamlet

Photo © Vincent Pontet

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