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Grégoire Torossian, Victor Rouanet et l’Orchestre des lauréats du Conservatoire à la Cité de la musique – Jeunesse d’avenir – Compte-rendu

Il y avait beaucoup de monde à la sortie de la station Porte de Pantin mercredi 28 mai à l’approche de 20h. Les uns filaient vers la Philharmonie, où ils auront sûrement eu confirmation des qualités de Daniil Trifonov, les autres vers la salle des concerts de la Cité de la musique. Deux très belles découvertes les y attendaient à l’occasion du concert du Prix de direction d’orchestre de Victor Rouanet (photo à g.) à la tête de l’Orchestre des lauréats de Conservatoire. Né en 1999, percussionniste à l’origine, le chef toulousain a réalisé ses études de direction au CNSMDP sous la conduite d’Alain Altinoglu et Alexandre Piquion, mais a par ailleurs reçu les conseils de Nicolás Pasquet et Ekhart Wycik à la Hochschule für Musik Franz Liszt Weimar.
Sens des timbres
Victor Rouanet peut en outre déjà se prévaloir de belles expériences professionnelles, avec par exemple un remplacement de dernière minute – très remarqué – sur la production d’Il Mondo delle luna de Haydn à Metz en janvier 2023, ou encore le rôle d’assistant de Paul Daniel lors de la production des Nozze di Figaro (m.e.s. Mariame Clément) présentée en mars dernier au CNSMDP (dont il a dirigé une représentation). Pas totalement un inconnu donc, mais un talent à l’orée d’une carrière qui s’annonce prometteuse.
Placé en ouverture de programme, le bref Dérive 1 (pour six instruments) de Boulez souligne le sens des timbres du chef et son aptitude à procurer à l’auditeur une sensation de liberté dans une partition d’écriture pourtant millimétrée.
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Archet princier
Une carrière prometteuse s’annonce également pour Grégoire Torossian (photo à dr.), violoniste formé au CNSMDP par Ami Flammer, puis Svetlin Roussev et Pierre Colombet, mais aussi, à Bruxelles, par Karen Aroutiounian (un disciple de Leonid Kogan). D’aucuns ont déjà pu l'apprécier en concert, à la Seine Musicale par exemple – où il contait parmi les stagiaires de l’Académie Jaroussky en 2023-2024 (promotion Brahms).
Le Concerto en mi mineur de Mendelssohn permet de prendre la mesure de son art, aussi admirable du point de vue de la maîtrise instrumentale que de la musicalité. Deux dimensions qui ne font qu’une dans son interprétation. On a souvent l’occasion d’entendre le premier mouvement emporté dans un grand élan virtuose dont pas mal de détails de la partition font les frais. Allegro molto appassionato : Grégoire Torossian sait faire le départ entre l’indication de tempo et celle de sentiment. L’approche plutôt retenue pour laquelle il opte peut surprendre au commencement. Elle se justifie pleinement. Le frisson romantique est bien là, mais le soliste n’oublie pas le substrat classique de l’inspiration mendelssohnienne. La qualité de phrasé, le sens des nuances montrent un virtuose (quelle sûreté d’intonation, quelle pureté de la chanterelle ...) tout entier happé par la musique. On n’est pas moins ému par le lyrisme pudique et poète de l’Andante et par un finale exempt de tout effet facile, confondant de naturel et de lumineuse ardeur. Archet princier ... Rien de tel qu’une partition rebattue pour révéler le talent en sonnant de façon "neuve". Le talent de Grégoire Torossian, comme celui de Victor Rouanet, qui a su offrir une réplique vivante et subtile à son soliste.
Energie intérieure, souplesse et fluidité
Partition fameuse aussi que La Mer, mais dont nul ne saurait se lasser. Par sa complexité, elle fournit un parfait révélateur des aptitudes d’un chef. Victor Rouanet se montre pleinement à la hauteur de l’enjeu. Art de la couleur, sensation de liberté dans une musique très précisément notée : les qualités soulignées dans la courte pièce de Boulez appartiennent tout autant à l’interprétation de l’ouvrage de Debussy. Maître de son orchestration très fragmentée, le jeune chef sait en libérer l’énergie intérieure avec souplesse et fluidité. Et en offrir une vision globale tout approfondissant le caractère de chaque section. Avec le remarquable Yoichiro Ueno au violon solo, les troupes de l’Orchestre des lauréats le suivent sans faillir, pour le plus grand bonheur d’une salle comble. Eternelle jeunesse des chefs-d’œuvre, servis ici par une jeunesse pleine d’avenir ...
Alain Cochard

Paris, Cité de la musique, salle des concerts, 28 mai 2025
Photo © DR
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