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Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny selon Ivo van Hove au Festival d’Aix-en-Provence 2019 – Le grand bordel – Compte rendu

On s’en délectait d’avance. Ivo van Hove mettant en scène l’opéra de Kurt Weill composé sur un livret de Bertolt Brecht, ça risquait de déménager. Manger, baiser, se battre, boire : Mahagonny est la ville où tout est permis… Brecht et Weill signent là un lynchage en bonne et due forme d’une société capitaliste violente et débauchée. Le terreau semblait propice à l’épanouissement du génie créatif du metteur en scène belge très – trop ? – sollicité actuellement ; nous sommes resté sur notre faim.

L’une des scènes esthétiquement les plus réussies de cette production avec, au premier plan, Annette Dasch (Jenny Hill, en rose), Nikolai Schukoff (Jim Mahoney), Thomas Oliemans (Bill) et Sean Panikkar (Jack O’Brien) © Maha Prsoti
 
Un qui n’est pas resté sur sa faim, en revanche, c’est ce pauvre Jack O’Brien (Sean Panikkar), mort d’avoir trop mangé au début du 2ème acte. Une grande bouffe filmée sur fond vert (qui permet d’intégrer des images derrière les protagonistes) et projetée en noir et blanc sur un écran géant. Car Ivo van Hove, sur l’immense scène du Grand Théâtre de Provence, use et abuse des images et des artifices au point que le spectateur ne sait plus où donner des yeux et de l’attention dans la confusion ambiante. Entre l’action en direct, les plans filmés, les gros plans plus ou moins réussis, les allées et venues des figurants et machinistes travaillant à vue, le déplacement de matériels divers et variés, le plateau se transforme en un bordel inénarrable. Remarquez, ça tombe bien, le bordel fait partie du quotidien à Mahagonny et, toujours devant le fond vert, les hommes miment l’acte alors que sur l’écran l’image montre les mêmes en présence d’une prostituée ! Sans jouer les vierges effarouchées, ce qui serait malvenu ici, on peut dire que c’est un peu lourdingue …
 

lan Oke (Fatty) Karita Mattila (veuve Begbick) et Sir Willard White (Moïse), le trio fondateur de la ville de Mahagonny  © Maha Prsoti

Dans cet environnement pour le moins chaotique, les voix tentent d’exister. Ce qui relève du tour de force car, mise elle aussi à nu, la cage de scène du Grand Théâtre absorbe les sons et rend difficile la projection vocale au-delà du mur sonore dressé par les instrumentistes du Philharmonia Orchestra sollicités, parfois sans retenue, par Esa-Pekka Salonen. Au chaos visuel se joint souvent, hélas, le chaos sonore, l’acoustique du lieu ne favorisant pas les choses.
Alors on retiendra quelques moments en forme de petits bonheurs… A commencer par Alabama Song (ou Moon of Alabama), passé à la postérité après sa récupération par la pop music et chanté ici avec grandes nuances par Annette Dasch (photo au centre) incarnant Jenny Hill. Cette dernière livrera aussi, en compagnie du Nikolai Schukoff, Jim Mahoney à la scène, un superbe duo d’amour. Omniprésent, ce dernier tire son épingle du jeu avec une complainte à la nuit emplie d’émotion et de sensibilité.

A souligner enfin la performance d’une vingtaine de choristes masculins du chœur Pygmalion, déjà très sollicités à l’Archevêché pour le Requiem de Mozart vu par Romeo Castellucci (1) et qui, dans ce contexte particulièrement confus, arrivent à donner le meilleur d’eux-mêmes. Et c’est tout, malgré les efforts des uns et des autres, à commencer par le trio Karita Mattila-Alan Oke-Sir Willard White (veuve Begbick, Fatty et Moïse) les fondateurs de Mahagonny, la ville ou tout est permis ; y compris la médiocrité.
 
Michel Egéa

(1) Lire notre compte-rendu : http://www.concertclassic.com/article/requiem-de-mozart-en-ouverture-du-festival-daix-en-provence-2019-la-vie-la-mort-et-tout-le
 
Weill : Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny –Festival d’Aix en Provence, Grand Théâtre de Provence, 6 juillet ; prochaines représentations les 9, 11 & 15, juillet (à 20 h.) // festival-aix.com
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Retransmission en direct le 11 juillet sur France Musique et ArteConcert.

Photo (Autour de Jenny Hill, les filles de Mahagonny attendent le passage du typhon) © Maha Prsoti

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