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Giuseppe Guarrera aux Estivales de Musique en Médoc – Autorité et finesse – Compte-rendu

Festival itinérant, les Estivales de Musique en Médoc s’installent chaque soir dans un château différent de la célèbre région viticole pour des concerts donnés par des lauréats de concours internationaux. Le château Lafite Rothschild aura trouvé un pianiste à la mesure de sa réputation en la personne de Giuseppe Guarrera (né en 1991 en Sicile) et l’on sait gré à Jacques Hubert, le patron des Estivales, d’avoir convié ce magnifique artiste que la France connaît très mal encore (il ne s’était jusqu’ici produit qu’une seule fois chez nous, en mars 2018, à l’Auditorium de la Fondation Louis Vuitton).

Après avoir débuté son cursus en Italie, Guarrera a pris le chemin de Berlin ; il est sorti en 2016 de la Hoschchule für Musik Hanns Eisler, puis a perfectionné son art pendant deux ans auprès de Nelson Goerner au sein de la Barenboim-Said Akademie. Déjà Premier Prix du Concorso Pianistico Nazionale Premier Venezia en 2010, il a obtenu le Deuxième Prix du Concours James Mottram de Manchester en 2015 et fait beaucoup parler de lui en 2017 à Montréal, remportant le Deuxième Prix et le Prix du Public – mais aussi le Prix André-Bachand, le Prix du meilleur récital de demi-finale, le Prix Bach et le Prix Chopin !

Résumer l’art du jeune interprète ? Concentration, fabuleux sens du détail sont les mots qui viennent immédiatement à l’esprit. Rien de tape-à-l’œil chez ce musicien dédaigneux des effets faciles mais qui parvient à immédiatement capter l’attention de l’auditeur pour ne plus la lâcher.
Un bouquet six sonates de Scarlatti ouvre le programme ; purs joyaux, instantanés musicaux que le pianiste saisit avec une grande pureté de trait, dans les pièces les plus lyriques comme les plus virtuoses (le couple des Sonates K.106/K.107 le démontre éloquemment), et des teintes aussi nuancées que les gradations dynamiques (Sonate K.466 à fondre de beauté). Que l’on aimerait qu’il se lance dans l’enregistrement d’un récital Scarlatti ...
La liberté est dans le texte ; Guarrera le sonde en profondeur, sans jamais se laisser piéger dans tel ou tel recoin, ni se départir d’une vision globale de la partition ; on le mesure dans la Chaconne de Bach/Busoni. La pièce peut facilement prêter au « cinéma » virtuose ; rien de cela sous les doigts d’un interprète qui parvient à faire ressentir la métamorphose opérée par le virtuose transcripteur sans oublier l’original pour violon et le mouvement de l’archet. Autorité et délicatesse ne sont pas incompatibles : une magistrale démonstration en est ici offerte !
 

Récital dans le chai circulaire du Château Lafite Rothschild, œuvre de l'architecte Ricardo Bofill © Stéphane Delavoye

Après l’univers baroque, le romantisme occupe la seconde partie avec Liszt. Guarrera n’est pas né par hasard sur la même terre que Bellini : son profond sens du cantabile trouve un terrain d’expression rêvé dans les Trois Sonnets de Pétrarque. La prégnance du chant, le galbe de la phrase enchantent dans les nos 47 et 104. Quant au 123, la troublante alchimie sonore qui s’y opère laisse le public coi et c’est sur un silence ému que s’élance la première des six Grandes Etudes de Paganini. Si le n°3, la fameuse Campanella, est populaire (souvent dans la version revue par Busoni), il n’est pas courant d’entendre le cahier dans son intégralité. Comme dans le Bach/Busoni, Guarrera ne perd par de vue le violon. Et quel ! puisque qu’il s’agit de celui d’un virtuose, du virtuose qui bouleversa de fond en comble l’approche lisztienne du clavier. Electrisante fascination, que l'interprète sait traduire par geste aussi intense que souple et léger, une diversité des attaques et des coloris – quel art de la pédalisation ! –, une luminosité tout simplement admirables. Autant que la tendresse et la poésie de la première des Kinderszenen de Schumann donnée en bis.

Espérons retrouver Giuseppe Guarrera très vite en France (on sait qu'il sera de retour l'an prochain aux Estivales en musique de chambre avec Mayumi Kanagawa, splendide violoniste qui a obtenu le 2ème prix du Concours Long Thibaud 2018 et 4ème Prix du Concours Tchaïkovski 2019). Quant aux Estivales en Médoc, elles se prolongent jusqu’au 12 juillet avec pour point d’orgue un concert de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine dirigé par Ben Glassberg, lauréat du Concours de Besançon 2017.

Alain Cochard

Pauillac, château Lafite Rothschild, 5 juillet 2019 // www.estivales-musique-medoc.com/

Photo © Kaupo Kikkas

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