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​Gergely Madaras dirige l’Orchestre de Chambre de Paris – Vivifiant dialogue – Compte-rendu

Le récent bicentenaire de la naissance de Franck a donné à Gergely Madaras (photo), directeur musical de l’Orchestre philharmonique royal de Liège depuis 2019, plusieurs occasions de se faire applaudir, dont en particulier une version de concert de l’opéra Hulda – on guette d’ailleurs avec impatience la sortie, à la fin du prochain mois de juin, de l’enregistrement réalisé en parallèle pour la collection Opéra français du Palazzetto Bru Zane. Reste que le chef excelle aussi dans la musique du XXe siècle, comme vient de le démontrer un intelligent programme « Inspirations folkloriques » de l’Orchestre de chambre de Paris qui faisait dialoguer Bartók et Ligeti lors d'une soirée inscrite dans le cadre du week-end "Ligeti 100" de la Philharmonie. Un vivifiant face à face conduit de main de maître par un jeune maestro (né en 1984 à Budapest) qui joue dans son arbre généalogique, et apparaît d’autant plus légitime ici que, durant ses jeunes années, il a travaillé la musique folklorique, avant d’entreprendre des études de flûte traversière puis de direction à l'Académie Franz Liszt.
 

Carolin Widmann © DR

Racées, pleines de fraîcheur et d’un caractère jamais forcé, les fameuses Danses populaires roumaines de Bartók ouvrent le concert. Un long changement de plateau plus tard – l’ouvrage qui vient requiert en effet un effectif très particulier, où figurent entre autres flûte à coulisse, flûtes à bec et ... ocarinas ! – les instrumentistes et leur chef sont de retour, rejoints par Carolin Widmann, pour le Concerto pour violon de Ligeti. Composé en 1990 et révisé en 1992, il offre un témoignage éloquent de la démarche d’un compositeur libre au pays des sons. Au fil des cinq sections, l’auditeur va de surprise en surprise tant la partition joue sur les contrastes et exploite à plein le potentiel de l’instrument soliste. Intensité et variété de l’expression : Carolin Widmann fait admirablement corps avec les paysages changeants du concerto – elle peut il est vrai compter sur la battue aussi précise qu’attentive aux timbres de Madaras. La pièce n’est rien moins que facile mais, par la concentration de son propos, la violoniste emporte sans mal l’adhésion de l’auditoire.

Le bonheur n’est pas moindre en seconde partie avec d’abord le Divertimento pour cordes de Bartók. Résolument signée, la conception de Madaras rejette une allégresse par trop simpliste préférant lire entre les notes d’une partition écrite durant l’été 1939. Allegro (vraiment) non troppo empli de doutes et d’ambiguïtés, Molto adagio fantomatique, Allegro assai grinçant à souhait : le pessimisme de l’approche, l’intelligence avec laquelle elle fait continûment sourdre le substrat historique de la musique, avec la complicité des archets d’un OCP en grande forme, confèrent à ce Bartók autant d’originalité que de prenante force.

Réponse aux Danses populaires roumaines introductives et excellente manière de chasser les noirs nuages qui planaient sur le Divertimento, le Concerto Românesc (1951) de Ligeti conclut de la plus belle façon. Rondement mené, l’OCP se délecte d’une musique goûteuse tel un fruit gorgé de soleil, onirique parfois aussi et que referme un Molto VivacePresto comme enivré de Palinča, dans lequel le violon lumineux – et joyeux comme une célèbre alouette – de Deborah Nemtanu fait des merveilles.
Grande soirée du musique, qui marquait aussi le tout premier passage – plus que réussi – de Gergely Madaras à la tête de l’Orchestre de chambre de Paris. Puisse-t-il vite être de retour !

En attendant, c'est à Liège qu'on le retrouve le 11 mars, à la tête de l'OPRL, dans un programme réunissant les rarissimes Minutes symphoniques de Dohnányi et la Symphonie n° 4 de Brahms (1) 

 
Alain Cochard

(1) www.oprl.be/fr/concerts/brahms-4

Paris, Cité de la musique, salle des concerts, 4 mars 2023
 
Photo © Balazs Borocz

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