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​Gautier Capuçon et Pierre Bleuse au Festival Pablo Casals 2025 – Un regard singulier – Compte rendu

 

Il n’est de meilleurs ambassadeurs d’une expérience humaine réussie que ses propres acteurs. Depuis l’arrivée de Pierre Bleuse à sa direction artistique (1) et la renaissance de l’orchestre de chambre qui porte son nom, le Festival Pablo Casals de Prades recrutait les jeunes instrumentistes par l’intermédiaire de grands établissements d’enseignement supérieur européens. Le bouche à oreille a produit ses effets : cette année, les candidatures spontanées ont amplement suffi à pourvoir aux différents pupitres d’une formation qui bénéficie du tutorat des archets du Quatuor Dutilleux et des souffleurs du Klarthe Quintet, neuf musiciens d’expérience qui prennent aussi part à la phalange (Guilllaume Chilemme en est le violon solo).

 

© François Brun

 
Secrète partition
 
Comme depuis 2021, le programme symphonique dirigé par Pierre Bleuse à l’orée du festival est pris d’assaut ; plus une place de libre à l’Abbaye Saint-Michel de Cuxa – peut-être faudra-t-il quelque jour envisager une retransmission des concerts symphoniques sur la place devant l’église de Prades ... Il vrai que la présence d’un soliste de renom tel que Gautier Capuçon a contribué au succès public d’un concert qui s’ouvre par le Concerto en si mineur d’Edward Elgar, ouvrage dont le violoncelliste est familier – il l’a enregistré, en compagnie du trop rare Concerto de Walton, accompagné du London Symphony Orchestra dirigé par Antonio Pappano (Erato).
Ecrit au sortir de la Grande Guerre par un artiste bouleversé par le drame qui venait d’ensanglanter l’Europe, l’Opus 85 est l’une des œuvres les plus secrètes, si ce n’est la plus secrète, du maître britannique. Elle exige une complicité, plus, une respiration commune du soliste et du chef pour parvenir à en traduire l’humeur complexe. Une magnifique et très formatrice entreprise dont les jeunes musiciens s’acquittent à merveille, emmenés avec enthousiasme par leur chef. Une fois de plus, on ne peut que se montrer admiratif de l’homogénéité à laquelle les instrumentistes – réunis à Prades quelques jours plus tôt seulement – parviennent. Il est vrai que certains membres de l’orchestre sont de retour (ceux qui le souhaitent ont en effet la possibilité de participer à trois sessions successives) et font profiter de leur acquis aux nouveaux venus. La transmission figure, on le sait, au cœur du projet artistique de Pierre Bleuse. 

 

© François Brun

Saisir le mouvement intérieur
 
De l’Adagio initial du Concerto en si mineur, on entend parfois des approches excessivement dramatiques, voire carrément plombées, qui affectent l’équilibre général de la pièce. Gautier Capuçon et Pierre Bleuse se gardent de ce travers. Le propos est empreint de noble mélancolie, sans rien de forcé – un adieu très britannique à la vieille Europe au moment où Ravel composait le sien : La Valse. Pareil à un souvenir de jours heureux, le second mouvement offre une merveille de légèreté ; les doubles croches se capricent sous un archet qui sait faire passer un léger voile d’amertume sur la musique vers la fin de l’épisode, avant que ne survienne l’Adagio, d’une expressivité prégnante et nostalgique, aussi vécue qu’attentive aux innombrables inflexions dynamiques notées par Elgar. L’évidence de la progression dramatique du finale démontre s’il en était besoin que le mouvement intérieur de l’Opus 85 a été parfaitement compris et intimement saisi.
Un seul bis possible à Prades pour Gautier Capuçon : El Cant dels Ocells (Le Chant des Oiseaux) de Pablo Casals, avec les cordes de l’orchestre. Quand la musique paraît suspendre le temps ...

 

© François Brun 

 
Drame sans emphase
 
En programmant la 4Symphonie de Tchaïkovki cette fois, Pierre Bleuse a, comme tout les ans, confronté ses musiciens à un ouvrage connu certes, mais surtout à un exercice d’orchestre très formateur pour l’ensemble des pupitres. Passionnante découverte aussi pour l’auditeur, avec un premier mouvement au tempo plus retenu qu’on en l’habitude. Rien de tonitruant dans l’expression du fatum ; l’option peu surprendre mais marque le début d’une progression dramatique qui fera pleinement sens dans le finale. Plénitude des cordes, saveur des vents : on lit sur les visages, on ressent dans le jeu un bonheur du collectif dont le lyrisme tchaïkovskien sort gagnant. L’Andantino et le Scherzo, font figure d’échos inversés de l’esprit des deuxième et troisième volets du Elgar, mélancolie entêtante pour l’un, ivresse heureuse pour l’autre, servi par des cordes d’une précision exemplaire, avant le final porté par un élan dramatique aussi prenant que dénué d’emphase. Un regard singulier, et pleinement assumé, sur la Symphonie en fa mineur.
 
L’édition des 75 ans du Festival de Prades se prolonge jusqu’au 8 août : on aura le bonheur de retrouver Pierre Bleuse et l’Orchestre de chambre du Festival lors de la soirée de clôture dans un non moins séduisant programme réunissant les deux Danses pour harpe de Debussy (sous les mains de Valeria Kafelnikov), les Nuits d’été de Berlioz (par la mezzo toulousaine Juliette Mey) et la Symphonie n° 40 de Mozart. D’ici là, les concerts de la série « Jeunes Talents and Friends » (dans des villages aux alentours de Prades) auront permis de jauger du niveau exceptionnels des jeunes membres de l’Orchestre dans des programmes chambristes très originaux.
 
Alain Cochard
 

(1) L'édition 2021 fut la première signée par Pierre Bleuse.
 
Festival Pablo Casals 2025, Abbaye Saint-Michel de Cuxa, 30 juillet 2025 / Jusqu’au 8 août 2025 :  prades-festival-casals.com/
 
Photo © François Brun

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