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Froberger, initiateur européen - Gustav Leonhardt en récital aux Bouffes du Nord
Figure très singulière que celle de Johann Jakob Froberger, né à Stuttgart en 1616 et reconnu de son vivant comme un maître parmi les maîtres – au clavecin ainsi qu’à l’orgue - par l’Europe entière. Pour autant, sa gloire demeure nimbée de mystère. Avant tout, précurseur majeur qui gardera de l’enseignement du génial Frescobaldi le goût du brillant et du surprenant, associé à l’art d’un contrepoint suprêmement savant et au primesaut des danses en vogue (courantes, gigues, etc.). En deux mots, un prince du clavier qui a beaucoup voyagé durant sa courte existence, de Vienne à Rome, Dresde, Londres et Paris (où il a sans doute rencontré Louis Couperin, lui révélant la nouveauté frescobaldienne) et, pour finir, à Bruxelles et Montbéliard, où il meurt en 1667 au service de sa protectrice, la duchesse Sibylla de Wurtemberg, sans cesser d’être en contact avec les cercles de l’ex-reine Christine de Suède et le célèbre physicien et astronome Huygens.
Tel quel, il a marqué de son empreinte la sensibilité musicale du premier Baroque, l’orientant, entre autres, vers l’invention et les incroyables songes harmoniques du stylus phantasticus (il est le premier de son époque à introduire ce style dans des pièces mesurées) et pressentant, dès ce moment, une nouvelle carrière expressive pour le lamento. Reste qu’il n’était guère disposé à publier ses manuscrits. Un problème qui a toujours fait obstacle à la diffusion optimum de ce génie si rare ; sans doute, le vrai initiateur de ces «goûts réunis» chers au XVIIIème siècle et travaillant un peu partout à la synthèse des styles allemand, italien et français, voire anglais (son influence est toujours discernable chez Bach et Haendel , entre autres). Ainsi faudra-t-il attendre 1693 et 1695 pour voir imprimés à Mayence deux recueils de cette œuvre presque exclusivement vouée au clavecin et à l’orgue. Un reflet fragmentaire de l’art précieux du trop discret Johann Jakob en la circonstance…
Pour autant, le moment de la pleine reconnaissance semble enfin venu pour le maître wurtembergeois. Avec un récital de Gustav Leonhardt (photo) jouant, une fois de plus, les irremplaçables « passeurs » au Théâtre des Bouffes du Nord, le 22 mars prochain. Gustav Leonhardt, sans qui le clavecin d’époque ne serait pas ce qu’il est pour notre imaginaire et qui, dès 1962, avait fait œuvre de pionnier en consacrant un album entier au même Froberger. Puis, il y a le disque de Christophe Rousset – un autre amoureux du musicien - qui paraît ces jours-ci chez Naïve (en collaboration avec la Cité de la musique). Un portrait au modèle à travers six Suites inspirées qui disent combien le rôle de l’interprète est important dans la résurrection d’un style «frobergien» à la fois fascinant et crédible. Et n’oublions pas Blandine Verlet qui, au concert comme au disque (chez Astrée/Naïve), a témoigné, depuis vingt ans, d’une belle fidélité envers celui dont Louis Couperin, autre sympathisant insigne, disait n’avoir écrit qu’à son école !
Roger Tellart
Gustav Leonhardt, clavecin
Œuvres de Froberger
22 mars – 20h 30
www.bouffesdunord.com
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Photo : DR
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