Journal

François-Xavier Roth dirige Le Timbre d’argent à l’Opéra-Comique – « Un ouvrage extraordinaire dans tous les sens du terme »

La musique française et la rareté sont décidément à l’honneur au cours la brève saison 2017 de l’Opéra-Comique. Après Fantasio d’Offenbach et Alcione de Marais, Le Timbre d’argent de Camille Saint-Saëns occupe l’affiche : une production dirigée par François-Xavier Roth (photo) et mise en scène par Guillaume Vincent (six représentations du 9 au 19 juin). Avec la Reine de Chypre d’Halévy (en version de concert, le 7 juin au théâtre des Champs-Elysées) et Phèdre de Jean-Baptiste Lemoyne (en version scénique, les 8, 10 et 11 juin aux Bouffes du Nord), Le Timbre d’argent constitue l’une des trois productions lyriques du 5ème Festival Bru Zane à Paris. Plus généralement, grâce au PBZ, le moment est faste pour Saint-Saëns car l’enregistrement de Proserpine, partition donnée à Munich et à Versailles en octobre dernier, est disponible depuis peu, servi par une distribution exemplaire, Véronique Gens en tête, sans oublier la preste baguette d’Ulf Schirmer (1)
 
François-Xavier Roth © DR

Contrairement à ce que les dictionnaires de l’Opéra et la routine des scènes lyriques peuvent laisser croire, la production lyrique de Camille Saint-Saëns ne se limite pas à Samson et Dalila et totalise en vérité pas moins de treize titres. Une longue liste qui, contrairement à ce que on l’imagine parfois, ne commence pas par La princesse jaune (1872) – premier opéra créé, en 1877, du compositeur – mais par Le Timbre d’argent. Sa création attendit aussi 1877 (le 23 février, au Théâtre National Lyrique), mais ce drame lyrique en quatre actes sur un livret de Barbier et Carré (les librettistes de Faust et des Contes d’Hoffmann) avait été élaboré dès 1864-1865 par un musicien de trente ans à peine. « C’est une vraie œuvre et c’est un vrai homme, celui-là ! », s’exclamait Bizet – qui avait entrepris la réduction pour piano du Timbre à la demande de l’éditeur Choudens – dans une lettre à Guiraud datée de 1867.

Guillaume Vincent & François-Xavier Roth © DR

De l’enthousiasme envers la musique de Saint-Saëns, et la musique française plus généralement, François-Xavier Roth n’en manque pas non plus. « Quand Olivier Mantei (directeur de l'Opéra-Comique ndr) m’a demandé ce que je souhaiterais diriger durant sa première saison, je lui ai immédiatement parlé de Saint-Saëns, confie le chef. C’est un compositeur que j’affectionne beaucoup. J’ai découvert Ascanio il y a quelques années et je me suis rendu compte que l’on ne connaît qu’un opéra du musicien, Samson et Dalila. En fouillant dans la production de Saint-Saëns avec la complicité du Palazzetto Bru Zane, j’en suis venu à me dire qu’il serait extraordinaire de monter Le Timbre d’argent, un opéra dont le livret fait penser aux Contes d’Hoffmann. L’ouvrage correspond à un moment de la musique française – et d’autres arts également – où la fascination pour le fantastique était très prononcée. Le Timbre d’argent était cher au cœur de Saint-Saëns et il a je pense beaucoup regretté qu’il ne trouve pas sa place sur les scènes. » Ce malgré plusieurs reprises, dès 1877 à Bruxelles, puis à Elberfeld en 1904, Berlin en 1905, Monte Carlo en 1907 et enfin Bruxelles à nouveau, en 1914, dans une ultime mouture, celle adoptée pour la production de l’Opéra-Comique.

Le Timbre d’argent montre « des influences de Berlioz, d’Offenbach, de Massenet, constate F.-X. Roth, mais aussi des réminiscences presque directes du chromatisme wagnérien, du Vaisseau Fantôme ; c’est une sorte de musique des goûts réunis de l’Europe musicale romantique, avec une signature totalement personnelle et singulière. On a affaire à un grand opéra dans lequel Saint-Saëns montre tout ce dont il est capable. Le langage est celui d’un musicien qui a subi l’influence de Beethoven, mais qui a aussi été le redécouvreur de Rameau ; un compositeur – que l’on a pu décrire comme le « classique des romantiques » – qui a su absorber et transmettre une certaine idée de l’art français à un moment donné. »
L’argument n’est pas le moindre atout du Timbre d’argent aux yeux du chef : « le personnage principal féminin, Fiametta, ne chante pas, c’est une danseuse ; elle est la figure de la femme fantasmée par Conrad, le rôle principal, au détriment de deux autres femmes, Hélène et Rosa, qui incarnent une image féminine plus raisonnable, pas aussi érotique et fantasmée qu’avec Fiametta. »

Camille Saint-Saëns © Musica (Juin 1907)

« C’est un ouvrage extraordinaire dans tous les sens du terme, pour l’histoire pareille à un rêve ; comme dans un film où l’on a des flash-back. Extraordinaire aussi pour la mise en scène dans laquelle le public va le découvrir. Guillaume Vincent a trouvé une esthétique générale assez incroyable – je pense que l’on n’aura jamais vu autant de couleurs, autant de magie sur la scène de Favart – ; le spectateur va découvrir un dispositif, un spectacle total qui rendent justice à l’esprit du Timbre d’argent. ».

Mais sa force séduction tient aussi à l’imagination sonore que Saint-Saëns manifeste dans la fosse : « l’orchestre est très riche, souligne F.-X. Roth ; il comprend même un trombone contrebasse. L’ouverture est incroyablement développée. On découvre une grande virtuosité à tous les pupitres, un orchestre parfois wagnérien, parfois aussi très « pré-Pelléas » avec un rôle de narration, de dramaturge quand la voix ne peut plus exprimer. A certains moments clefs de l’ouvrage, c’est l’orchestre qui, avec les sons, les mélodies, les harmonies, fait comprendre au spectateur dans quelle région ou dans quel espace-temps il doit se mouvoir. C’est très beau et moderne. Il faut enfin insister sur l’importance du chœur dont le rôle tant musical que théâtral s’avère fondamental. »

Avec le chœur Accentus, l’orchestre les Siècles et une distribution de premier ordre (Hélène Guilmette, Jodie Devos, Tassis Christoyannis, Edgaras Montvidas, Yu Shao)(2), la production du Timbre d’argent se présente sous les meilleurs auspices. Les micros seront évidemment là afin d’immortaliser une résurrection qui, après Les Barbares et Proserpine, enrichira la collection «Opéra Français » du Palazzetto Bru Zane.

Alain Cochard
(Entretien avec François-Xavier Roth réalisé le 23 mai 2017)

logo signature article
(1) C. Saint-Saëns, Proserpine, 2 CD PBZ «Opéra français »/ Ediciones singulares
(2) Et la danseuse Raphaëlle Delaunay en Fiametta !

Saint-Saëns : Le Timbre d’argent
9, 11, 13, 15, 17 et 19 juin 2017
Paris – Opéra-Comique
www.concertclassic.com/concert/le-timbre-dargent

5ème Festival Bru Zane à Paris (7-19 juin 2017)
www.bru-zane.com/2016/?page_id=17680&lang=fr

Photo François-Xavier Roth © Julien Mignot

Partager par emailImprimer

Derniers articles