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​Francesco Tristano en récital à la Scala-Paris (Streaming) – L’irrésistible cocktail

D’aucuns –  nous y étions – l’ont vu prendre son envol en mars 2004 au 6ème Concours International de Piano d’Orléans(1). Que de chemin parcouru depuis et quel protéiforme talent que celui de Francesco Tristano Schlimé ! – que l’on désigne depuis un bon moment déjà par ses seuls prénoms. Piano «classique », jazz, électro : l’artiste luxembourgeois (né en 1981) a abordé bien des domaines – déroutant au passage pas mal de frêles esprits attachés aux sacrosaintes étiquettes – mais dans tous les cas avec une exigence et un degré d’aboutissement dans chacune de ses entreprises qui forcent l’admiration et le rangent parmi les plus singuliers musiciens de notre époque.
Deux ans après le succès de l’album Tokyo Stories (Sony Classical), envoûtant portrait musical  de la capitale japonaise – marqué à la fois par l’électro et le jazz –, l’artiste revient à une projet plus « classique » avec l’album On Early Music (pour Sony Classical ; ce sera son 22e disque !), qu’il enregistre du 9 au 11 février à la Scala-Paris et dont il offrira un large aperçu au cours d’un récital diffusé en streaming depuis ce lieu le 13 février.

Une longue complicité avec La Scala-Paris

Francesco Tristano sera chez lui dans la salle du boulevard de Strasbourg qu’il connaît depuis l’origine. Il se souvient d’un passage dans les bureaux de Frédéric Biessy qui lui « montra la maquette du projet complètement fou de rénover un théâtre qui avait eu plusieurs vies. » Dès le départ Frédéric et Mélanie Biessy l’embarquèrent dans leur aventure, le chargeant avec son ami Bertrand Chamayou de choisir le Yamaha le plus adapté à l’acoustique moderne et infiniment modulable du lieu. Instrument que lui et Chamayou jouèrent lors de l’inauguration de la salle en 2018. On passé un coup de fil à Francesco Tristano ce 8 février à la fin d’une journée que l’artiste a consacrée, avec son ingénieur du son, à l’installation des micros autour d’un piano qu’il a d’évidence retrouvé avec un grand bonheur.

De Tokyo à Paris

L’impatience d’attaquer cette session d’enregistrement est palpable, pour mener à bien un projet qui traduit son envie « de revenir à un piano classique » – avec de la musique ancienne ! Gibbons, Bull, Sweelinck, Pietro Filippi (Peter Philips), Bach figureront au programme d’un disque dont la réalisation a en fait été amorcée à Tokyo en novembre 2019. Certaines prises effectuées à l’époque seront conservées, d’autres refaites à Paris pour aboutir à un album où figureront aussi des compositions récentes de Francesco Tristano, « toutes basées sur la musique ancienne, sur des accords précis ou une suite d’accords. » On sait depuis un mémorable concert Frescobaldi à la Scène Bastille en 2007 (un enregistrement publié Sisyphe en préserve le souvenir) combien l’exemple de la musique ancienne – la leçon de liberté de l’auteur des Fiori musicali au premier chef – l’inspire.
 

©francescotristano.com

Un labyrinthe modal des émotions

Gibbons a certes été présent dans certains de ses programmes depuis quelques années (Francesco Tristano nous apprend qu’un CD japonais sorti en édition limitée en porte la trace), mais le récital On Early Music qu’il concocte marquera toutefois sa première incursion officielle au disque chez les virginalistes anglais. Le pianiste est très attaché à ce répertoire : « c’est de la musique modale, on y découvre un langage harmonique différent de celui de la musique tonale ; une musique plus abstraite, plus pure, des harmonies que l’on n’a pas l’habitude d’entendre, notamment au piano, instrument pour lequel elle n’a pas été conçue et sur lequel il faut savoir la faire sonner. Ce langage modal me touche depuis des années, depuis toujours peut-être, avoue Francesco Tristano ; ces suites d’accords mineurs qui s’enchaînent sans aucune direction et débouchent sur un accord encore une fois mineur, laissant l’oreille égarée ... Un labyrinthe modal des émotions ... »

Groove et boucles proto-électroniques

L’aspect rythmique de l’art des virginalistes ne le séduit pas moins : « il s’agit de musique de danse – dimension qui a plus tard été synthétisée de façon colossale par Bach – ; les pas de danse marquent et font respirer cette musique. Ils la précèdent même. » Des pages « d’une rythmicité magnifique » que Francesco Tristano n’est pas sans relier avec notre époque y trouvant « un certain groove, des boucles proto-électroniques qui font entrer dans une transe rythmique. L’alliance de modalité et de la dimension rythmique forme un cocktail irrésistible, conclut-il ! »

Du temps pour la composition

Période compliquée pour Francesco Tristano comme pour tous les musiciens que celle qui s’est ouverte avec la survenance de la pandémie. «Nous avons tous énormément appris, confie-t-il je me rends compte, maintenant que les concerts sont beaucoup plus rares que chaque concert est vraiment beaucoup plus important. » Quant au temps libre dont il a disposé ces derniers mois, il avoue, non sans satisfaction, l’avoir « beaucoup consacré à la composition, activité à laquelle la vie d’artiste en tournée, gourmande en énergie, ne permet pas de pleinement se consacrer.
A côté de Frescobaldi, Gibbons, Bull et Bach, on entendra de Francesco Tristano La Franciscana, pièce de 2017, et des réalisations récentes spécifiquement conçues pour On Early Music.

Alain Cochard
(Entretien avec Francesco Tristano réalisé le 8 février 2021)

(1) www.concertclassic.com/article/francesco-tristano-schlime-un-pianiste-hors-du-commun
 
 
Francesco Tristano : récital On Early Music le 13 février 2021 à 20h30 sur :
www.facebook.com/lascalaparis/
ou
www.youtube.com/channel/UCkEZWVkH0dRW-moCAb147FA
 
Site Francesco Tristano : www.francescotristano.com/
 
Photo ©francescotristano.com

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