Journal
Adriana Mater de Kaija Saariaho au Teatro Costanzi de Rome – Mater dolorosa - Compte rendu

À sa création en 2006 à l’Opéra Bastille, cette œuvre commandée par Gérard Mortier alors directeur de l’institution et par l’Opéra de Finlande n’avait pas été un succès. Le trio réuni autour de cette Adriana Mater, le librettiste Amin Maalouf, la compositrice Kaija Saariaho et le metteur en scène Peter Sellars n’avaient pas su trouver les moyens de captiver le public, resté insensible à ce projet qui succédait à L’amour de loin, précédent opus lyrique donné à Salzbourg en 2000.

Axelle Fanyo & Fleur Barron © Fabrizio Sansoni-Teatro dell'Opera di Roma
Le choix de la radicalité
Le Théâtre Costanzi de Rome a voulu donner sa chance à cet opéra peu rejoué (à part une première américaine en 2008 à Santa Fe) et proposer à Peter Sellars d’en redonner une nouvelle lecture. Après avoir raconté cette douloureuse histoire de violence et de pardon – Adriana est violée pour avoir refusé les avances d’un soldat lors d’un conflit qui pourrait se situer de nos jours dans les Balkans, son fils décidant des années plus tard de se venger en tuant ce père détesté qu’il croyait mort, geste qu’il n’aura finalement pas le courage d’accomplir – dans une lourde scénographie signée George Tsypin, l’ex enfant terrible de la scène américaine a fait le choix de la radicalité. L’orchestre et le chœur occupent le plateau, tandis qu’à l’avant-scène des tréteaux servent d’espace de jeu aux interprètes, parfois relégués au lointain. Difficile dans un tel contexte de faire théâtre, d’apporter du sens et de donner chair à une narration qui, bien qu’audible, en a tant besoin. Les artistes dont les voix sont amplifiées ont peu à jouer, écrasés par la présence envahissante des musiciens, ce qui renvoie le spectacle à mise en espace sans consistance, que l’on dirait réglée à la va-vite.

Fleur Barron © Fabrizio Sansoni-Teatro dell'Opera di Roma
Discret jusqu’à l’abstraction
Sellars qui à la création avait eu la main un peu lourde sur l’utilisation de symboles, au point d’apparaître redondant, se montre ici bien peu concerné, discret jusqu’à l’abstraction. L’absence de décor accentuée par les lumières crues de Ben Zamora et le minimalisme de gestes démonstratifs n’aident pas le spectateur, qui souffre en silence, sans pouvoir s’accrocher à quelques éléments tangibles qui pourraient lui porter secours. La musique, ou plutôt l’atmosphère musicale, créée par Saariaho, ne produit autre chose qu’un épais brouillard sonore qui entoure les voix sans jamais fusionner avec elles et duquel ne s’échappe qu’à de rares instants, un thème, une mélodie, une fulgurance…. Ce procédé d’écriture répété ad libitum finit par lasser et l’on en vient à compter les minutes qui nous libèreront de ce calvaire que dirige sans réelle conviction Ernest Martínez Izquierdo ; mais dans nos souvenirs le grand Esa-Pekka Salonen n’avait pas fait mieux malgré tout son talent dans la fosse parisienne, c’est tout dire !

Nicholas Phan & Christopher Pruves © Fabrizio Sansoni-Teatro dell'Opera di Roma
Une héroïne entre forces opposées
Les quatre personnages ont du mérite car leurs tâches respectives ne sont pas faciles. En Adriana Mater, la mezzo Fleur Barron (photo) fait valoir un assez joli timbre et une diction saine du français, qui s’accordent aux tourments rencontrés par son personnage écartelé entre des forces opposées (le bien et le mal), paraboliques (le mâle vaincu par la maternité) ou liées à la religion (la mort vaincue par la vie). Jeune victime violée pendant la guerre par l’un des siens, elle décide d’élever seule son enfant et de « refermer les portes de l’Enfer » en mettant fin au cycle de la violence, en prenant la décision de ne pas se venger. Sa sœur Refka incarnée par le soprano pulpeux, profus et chaleureux d’Axelle Fanyo (photo), rend chacune de ses interventions pleines de douceur et de compassion dans un monde marqué par la désolation. Yonas, le fils d’Adriana, tenu par le ténor Nicholas Phan à l’émission pointue, ne possède pas la plus belle voix qui soit, mais son incarnation à fleur de peau, incisive et toute de violence retenue compense ce handicap. Christopher Pruves enfin convainc dans une partition complexe, son Tsago, soldat masculiniste transformé par de sombres événements, suscitant le pardon lorsqu’il fait son retour épuisé, aveugle et vidé de toute substance.
François Lesueur

Saariaho : Adriana Mater / Rome, Teatro Costanzi, 16 octobre 2025 // www.operaroma.it
Photo © Fabrizio Sansoni-Teatro dell'Opera di Roma
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