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« Forêt d’Amazonie » inaugure le cycle Musique & Images de l’Opéra de Rouen – Heitor Villa-Lobos / Sebastião Salgado : coup-de-poing de beauté ! – Compte-rendu

La musique d’Heitor Villa-Lobos (1887-1959) est bien rare dans les programmes des orchestres français et c’est toujours avec bonheur et curiosité qu’on la voit parfois programmée, ici ou là – en se limitant souvent hélas à la Bachianas brasileiras n°5 pour soprano et cordes, merveilleuse mais un tantinet rebattue. Placée en ouverture de son cycle Musique & Image (1), la proposition de l’Opéra de Rouen avait tout pour attirer les mordus du compositeur brésilien car l’on n’entend pratiquement jamais A Floresta do Amazonas (La Forêt d’Amazonie). Datée de 1958, elle constitue la seconde partition de l’auteur pour le cinéma, presque deux décennies après La Découverte du Brésil (de 1937, pour le film de Humberto Mauro).
 
Rio Jaú. Etat de Amazonas, Brésil, 2019 © Sebastião Salgado
 
C’est pour Green Mansions de Mel Ferrer, avec Audrey Hepburn et Anthony Perkins, que Villa-Lobos écrivit La Forêt d’Amazonie. Passons sur une collaboration assez désastreuse avec la production (et sur les interventions du compositeur-arrangeur Bronislau Kaper ...), le film fut un échec mais la partition était née et Villa-Lobos en tira une grande suite symphonique dont la Metro Goldwin Mayer, pour se faire pardonner, finança l’enregistrement de la majeure partie (19 numéros), sous la baguette du compositeur, à New York, avec la soprano Bidú Sayão et le Symphony of the Air & Chorus (enregistrement un temps disponible dans la collection «Inspiration » d’EMI Classics). Témoignage d’autant plus émouvant qu’il précède de peu la mort du musicien, en novembre 1959 à Rio.
 
Simone Menezes et Sebastião Salgado © DR

Le programme que la cheffe italo-brésilienne Simone Menezes dirige à la tête de la réunion de l’Orchestre de Rouen Normandie et de l’Orchestre Régional de Normandie, ne retient que onze numéros parmi la bonne vingtaine que compte la partition, mais tout son esprit demeure, formidable hymne à la beauté et à la sauvage puissance de l’Amazonie. Elle offre un contrepoint sonore idéal aux fabuleuses images en noir et blanc de Sebastião Salgado, génial photographe qui milite, et avec quelle ardeur ! – son intervention à Rouen l’a une fois de plus souligné –, pour la préservation de l’Amazonie. 
 
En préambule à l’immersion dans la forêt, Simone Menezes dirige le Prélude de la Bachianas brasileiras n° 4. Ni trop statique, ni trop allante, sa battue, souple et expressive face à des archets très homogènes, trouve le tempo juste afin de traduire l’essence d’une musique qui part de Bach – référence absolue de Villa-Lobos –  pour chanter l’âme brésilienne. L’orchestre dans sa totalité entre ensuite en scène avec Metamorphosis I de Philip Glass, pièce conclusive de Aguas da Amazonia (ici dans la splendide orchestration de Charles Coleman, réalisée pour l’enregistrement de Kristjan Järvi avec le MDR Leipzig Radio Symphony Orchestra). Sens du détail, conscience des timbres : Simone Menezes fait vibrer la musique de la plus suggestive façon.
 

Simone Menezes © Bruno Bonansea
 
Surgit alors la forêt amazonienne ; la musique de Villa-Lobos et les clichés de Salgado – pris d’avion pour commencer. On croirait que chaque note de la partition a été pensée pour le projet qui prend forme sous nos yeux ... La forêt, vue du ciel ou du fleuve, et ses habitants dans leur pré-historique proximité avec la nature : impossible de décrire par les mots la force de la rencontre entre les images et les sons. Une osmose totale règne de bout en bout, à laquelle la direction vibrante, pleine de couleurs et de relief, mais jamais clinquante, de Simone Menezes – quelle découverte que cette artiste ! – contribue amplement, tout comme les interventions de la soprano brésilienne Camila Titinger, parfaite dans les Veleiros (Voiliers) – d’une infinie poésie ... –, la Canção de amor et la Melodia sentimental, sans parler de l’Epilogue, bouleversant d’intensité.
Que l’on s’en veut, à cause d’un train à attraper, de n’avoir pu rester longuement applaudir une entreprise aussi aboutie, véritable coup-de-poing de beauté. Créé à Rouen, « Forêt d’Amazonie » sera repris à la Paris le 10 avril prochain dans le cadre du « Week-end Amazônia » de la Philharmonie(2). Ne le manquez sous aucun prétexte – et faites vite, très vite, pour les réservations !  
 
Alain Cochard
(1) www.operaderouen.fr/
 
(2) philharmoniedeparis.fr/fr/activite/concert-avec-images/21792-foret-damazonie?date=1618079400

Rouen, Théâtre des Arts, 17 octobre 2020
 
Photo © Sebastião Salgado (Chaman Yanomami en rituel avant la montée vers le Pico da Neblina. Etat de Amazonas,  Brésil, 2014)

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