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Fidelio à Milan – La Scala fidèle à Beethoven – Compte-rendu

Le 7 décembre 1999 Fidelio ouvrait la saison scaligère, dirigé par Muti, mis en scène par Herzog avec l’ardente Waltraud Meier et le touchant Thomas Moser. Quinze ans plus tard l'ouvrage de Beethoven est de retour à l’affiche, choisi par Stéphane Lissner et Daniel Barenboïm, appelés tous les deux à de nouvelles destinées artistiques, pour marquer leur départ après un mandat réussi.

Sensible à cette œuvre pour l’avoir proposée au jeune Braunschweig en 1994 alors qu’il était aux commandes du Châtelet, Lissner a cette fois chargé Deborah Warner de concevoir la production. Hauts murs de briques, béton façon bunker, grilles et gravats illustrent parfaitement l’univers carcéral qui accompagne ce drame intemporel, ici transposé dans quelque prison actuelle. Si les décors et les costumes de Chloé Obolensky et les nombreux accessoires ont en partie changé, c’est à peu près le spectacle que nous avait offert Deborah Warner à Paris en janvier 2002 (une production créée à Glyndebourne, invitée par Jean-Pierre Brossmann alors directeur du Châtelet) : un univers d’êtres déracinés, hors du temps et de la société, qui ont appris à vivre ensemble dans des conditions extrêmes et qui malgré la peur, la solitude et le travail répétitif qui leur est imposé, éprouvent des sentiments et croient en un avenir meilleur. Travestie en homme, Leonore, au service du gardien de la prison, n’a qu’une chose en tête, retrouver celui qu’elle aime et le sauver de la mort que lui a réservée l’infâme Pizzaro. Ménage, repassage, rondes et sortie de prisonniers, ces scènes de la vie quotidienne traitées avec sécheresse et froideur souffrent cependant de n’être suffisamment incarnées et investies théâtralement par de plus vibrants interprètes.
 
Le couple Jacquino/Marcelline circule énormément sur le plateau, se provoque, se chamaille sans pour autant trouver ses marques et les voix courtes et pointues de Florian Hoffmann et de Mojca Erdmann peinent à s’épanouir. Bombant de torse, roulant des yeux comme au temps du muet et donnant l’impression d’être monté sur ressort, le Pizzaro éructant de Falk Struckmann semble ne pas avoir été dirigé, ce qui est regrettable pour un personnage aussi central. Kwangchul Youn est sans surprise un honnête Rocco chanté proprement, mais cet homme au grand cœur mérite plus et mieux que cela. Soprano appréciée dans le répertoire wagnérien (Kundry, Sieglinde, Senta, Elisabeth, Isolde et même Irène de Rienzi), Anja Kampe (Leonore) offre certes un chant discipliné qui lui permet de ne pas se compromettre ou d’adapter la partition à ses moyens ; mais n’impressionne pas par son héroïsme, ne surprend pas par son audace et n’émeut pas par son courage effréné. Waltraud Meier n’était pas une hochdrammatisch mais, lorsqu’elle incarnait Leonore, savait traduire l’urgence, couver le feu, l’intensifier avant que la passion n’explose. Chez sa cadette tout est ordonné, planifié, mais la fatigue venant, la résistance s’émousse et les derniers aigus sortent à grand peine. Nina Stemme, impressionnante avec Abbado et Kaufmann dans le live enregistré à Lucerne et publié par Decca, souhaitera-t-elle revenir à Fidelio en l’absence d’un tel chef ?
 
Remplacé par Jonas Kaufmann le 10 décembre, Klaus Florian Voigt retrouvait Florestan le 13, l’exact contraire de son illustre collègue : timbre clair, juvénile, haut placé qui ferait presque passer Florestan pour le frère de Tamino, joué de plus de manière anecdotique. La présence de Peter Mattei (comme à Lucerne en 2010) dans la courte intervention du libérateur Don Fernando, nous fait presque oublier notre relative déception, tant le chanteur brille par son intelligence et par son talent.
A l’opposé de Muti et d’Abbado - unique dans l’un des ses derniers témoignages beethoveniens pétri de tendresse et d’humanité - Daniel Barenboïm impose des tempi très étirés et un orchestre parfois trop puissant, qui ne conviennent pas toujours à cet opéra où la pulsation appelle plus de vigueur et d’excitation. Le maestro peut cependant compter sur des musiciens de premier ordre et des choristes du même acabit, preuve évidente d’une réelle et belle entente musicale peaufinée au fil des saisons.
 
François Lesueur
 
Beethoven : Fidelio – Milan, Teatro alla Scala, 13 décembre, prochaines représentations les 16, 20 et 23 décembre 2014/ www.teatroallascala.org
 
Photo © Teatro alla Scala

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