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Festival Nouveaux Horizons à Aix-en-Provence (créations mondiales de Cassie Kinoshi et Fabien Waksman) – Singularités musicales – Compte-rendu

 

Imaginé en 2020 avec la complicité de Dominique Bluzet, directeur du Grand Théâtre de Provence, par le violoniste Renaud Capuçon et l’altiste Gérard Caussé, Nouveaux Horizons aurait pu demeurer un événement unique au service des jeunes musiciens malmenés par la crise sanitaire. Or s’il est deux musiciens légitimes en matière de musique contemporaine, ce sont bien Renaud Capuçon et Gérard Caussé : le violoniste ayant créé, toutes esthétiques confondues et rien que ces dernières années, les concertos de Pascal Dusapin, Bruno Mantovani, Wolfgang Rihm, Guillaume Connesson, Michael Jarrell ; l’altiste ne comptant plus les explorations du domaine au sein du Quatuor Parrenin et de l’Ensemble intercontemporain. Le succès public de la formule a transformé l’arme à un coup en festival feu d’artifice.

La troisième édition, du jeudi 3 au dimanche 6 novembre à Aix-en-Provence, dans le bel auditorium Campra du conservatoire Darius-Milhaud – acoustique idéale, audience confortable, attention soutenue – creusait le sillon d’origine : inviter vingt-six musiciens, compositeurs et instrumentistes, les deux parrains y compris, à une semaine de résidence afin d’interpréter, sur scène en cinq concerts, dix créations mondiales, accompagnées d’œuvres du répertoire. Chaque concert étant précédé d’un salon de musique animé par Laurent Vilarem, producteur sur France Musique, suffisamment ludique et décontracté pour rassurer qui en ressentirait le besoin.
 

 Fabien Waksmann avec Célia Oneto Bensaid & Marie-Laure Garnier, créatrices des Hawking Songs © Caroline Doutre 
 
Des jeunes compositeurs réunis cette année, depuis les quadragénaires jusqu’aux nouvelles pousses, tous ne sont pas inconnus chez nous : l’opéra Like Flesh de Sivan Eldar a été créé à Lille puis repris à Montpellier la saison dernière, Arthur Lavandier est un collaborateur régulier de l’ensemble Le Balcon, Fabien Waksman a reçu le Grand Prix lycéen des compositeurs 2021. Et puisqu’il est question d’esthétiques, sujet sensible pour ne pas dire périlleux en France, convenons qu’il est réjouissant qu’elles soient aussi naturellement diverses dans les dix propositions retenues, de l’exploration du matériau sonore par Juan Arroyo jusqu’à la composition « la plus tradi du lot » pour reprendre l’expression de Camille Durand-Mabire. Ces deux-là étaient d’ailleurs voisins de fauteuil ce samedi et ne semblaient pas avoir envie d’en découdre pour autant : certains de leurs aînés pourraient éventuellement en prendre de la (bonne) graine !
 

Shuichi Okada (violo), Jérémie Moreau (piano) & Maxime Quennesson (violoncelle) en compagnie de l'archet espiègle et bienveillant de Gérard Caussé © Caroline Doutre

Le concert commence par une riche surprise : les Trois Chants nostalgiques (1910) de Charlotte Sohy, interprétés par la soprano Marie-Laure Garnier et la pianiste Célia Oneto Bensaid. L’ambiance est à la française sans être précieuse, on les sent contemporains à la fois de Debussy et de Fauré avec une surprenante pointe d’inquiétude harmonique. Il s’achève sur le Quatuor pour piano n° 2 d’Antonín Dvorak, œuvre d’avant le Nouveau Monde, frémissante, mélodique et populaire où Gérard Caussé à l’alto fait figure de père espiègle et bienveillant auprès de ses jeunes compagnons.
 

Cassie Kinoshi (à dr.) et les interprètes de Grey Cloud © Caroline Doutre
 
L’essentiel des Nouveaux Horizons se tient évidemment au cœur du programme. Avec d’abord la création de Grey Cloud, de l’Anglaise Cassie Kinoshi – à 29 ans, la benjamine de l’édition – une composition pour cordes et piano, définie par Laurent Vilarem comme émotionnelle et à fleur de peau. Également saxophoniste et leader du collectif de jazz Seed, Cassie Kinoshi ne cherche pas le mélange des genres dans cette composition très mélodique, intemporelle sinon dans les allusions discrètes au minimalisme anglo-saxon, en phase avec notre époque puisqu’il s’agit d’une réflexion musicale autour de la dépression, de l’anxiété et des lumières sur le chemin pour s’en sortir.
Avec, ensuite, le cycle des Hawking Songs de Fabien Waksman, à des années-lumière de ce qui lui a valu la faveur des lycéens. On est ici, sur des textes de son complice le physicien Jean-Philippe Uzan, dans un champ de références multiples : les travaux scientifiques de Stephen Hawking, l’imaginaire de la science-fiction, le mythe d’Orphée, les énergies accélérées de l’opéra, de la pop, du cinéma. Devant son piano préparé, Célia Oneto Bensaid (photo) ouvre d’étranges espaces où rayonne la voix intense de Marie-Laure Garnier (photo), où explose leur engagement physique proprement sidérant. Tour à tour gospel de l’espace et hymne à l’amour infini, l’œuvre est suspendue aux dernières mesures – « answer me, answer me » – qui vous prennent aux tripes comme si Didon revisitait la fin du Chant de la Terre. Le cycle n’étant pas achevé, on espère tous, acclamations de l’auditoire à l’appui, qu’il ne nous faudra pas attendre l’évaporation du trou noir pour en découvrir l’avenir…
 
Didier Lamare

 
Aix-en-Provence, Conservatoire Darius-Milhaud, 5 novembre 2022

 
Diffusion sur France Musique de l’intégralité du festival dans l’émission Le concert du soir les 28 novembre, 30 novembre et 1er décembre à 20 h, puis disponibles à la réécoute :
www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/le-concert-de-20h
 
Captation du concert de clôture du dimanche 6 novembre disponible sur Arte concert :
www.arte.tv/fr/videos/111883-000-A/nouveaux-horizons-2022-concert-de-cloture/
 
Photo © Caroline Doutre

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