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Festival « Les Volques » 2022 / Nîmes – Stimulant dialogue – Compte rendu

 

Initiative de l’altiste Carole Roth-Dauphin et de François-Xavier Roth, respectivement directrice artistique et président de la manifestation, le festival « Les Volques » – en référence à l’une des premières tribus sédentarisées à Nîmes vers le Ve siècle av. J.C. – est né discrètement en 2020 dans un contexte perturbé par la crise sanitaire. Beethoven-Manoury : dès le départ le principe du double-portrait, consistant à associer un musicien contemporain à une grande figure du passé était posé comme fondement de la programmation. Après Schubert-Lachenmann l’an dernier, le dialogue s’établissait cette fois entre Robert Schumann et Betsy Jolas. A 96 ans, cette dernière fait l’actualité en cette rentrée puisque, outre la création de la pièce Latest il y a quelques jours à l’Orchestre de Paris sous la baguette de Klaus Mäkelä, sa musique aura été très présente tout au long des Volques 2022.(1) Le rapprochement Schumann-Jolas peut a priori surprendre, mais fait sens quand on sait l’amour de la compositrice pour la musique de l’Allemand – ses lieder en particulier, découverts très tôt grâce à une mère chanteuse qui avait étudié à Berlin avant la première guerre mondiale.
 
Et le lied de trouver on ne peut plus naturellement sa place lors du concert inaugural du 3e festival – dans le cadre inattendu mais intimiste et approprié du Spot, une accueillante petite salle de musiques actuelles – avec tout d’abord les cinq Poèmes de la reine Marie Stuart. Un opus dont Isabelle Druet, timbre riche et expression intense, portée par le piano très complice de Joël Soichez, restitue la prégnante unité, entre nostalgie et supplique déchirante. Place ensuite au Schumann instrumental avec l’alto de Carole Roth-Dauphin auquel Cédric Tiberghien donne la réplique dans les quatre Märchenbilder op. 113. Franchise de l’échange, justesse des climats : entre de nos 1 et 4, d’un onirisme et d’une profondeur de champ – et de chant – remarquables, le Lebhaft et le Rash créent le contraste, d’une énergie souriante pour le premier, avant l’agitation intérieure, si bien restituée, du suivant.

A la manière du Berio des sequenze, Betsy Jolas a signé une série de pièces (les épisodes) pour instrument soliste. Pour la trompette, Episode III est ici confié à Fabien Norbert, qui avec une étonnante palette d’attaques, de sonorités et d’effets (plusieurs types de sourdine sont utilisés) – et quelle maîtrise du souffle ! –  illustre toute la malléabilité de l’instrument.
 

Isabelle Druet & Joël Soichez © Les Volques
 
Retour à Schumann et au lied avec cinq extraits du Liederkreis op. 39, dans lesquels le sens des caractères et le naturel d’Isabelle Druet et de son partenaire font mouche à nouveau. Fluidité d’In der Fremde, respiration panthéiste de Mondnacht, simplicité frémissante du second In der Fremde, prégnance du sombre Zwielicht, vibrant élan de Frühlingsnacht : on aurait volontiers goûté à la totalité du cycle !
 
Le covid continue de faire des siennes : on comptait sur la venue de Betsy Jolas à Nîmes, elle en a été empêchée ; on attendait la création française de Round to catch par le Trio Catch, l’indisposition d’un des instrumentistes l’a rendue impossible lors de la soirée inaugurale. En remplacement, Jean-François Heisser prend place sur scène avec trois pièces pour piano de Jolas. Tirée du Concerto-Fantaisie « Oh Night, Oh ... », Jaypiece II souligne la précision d’orfèvre de l’interprète et l’aisance avec laquelle il se meut dans le répertoire contemporain. De Signets, un bel hommage à Ravel daté de 1987, il exploite avec art les résonances, avant d’aborder avec non moins de maestria la Pièce pour Saint-Germain, partition assez redoutable – et un peu surchargée.
Le mot de la fin revient à la toute dernière expression pianistique du génie schumanien avec les Geistervariationen WoO24 : un labyrinthe de mélancolie dont Cédric Tiberghien traduit tout ce qu’il comporte de terrible et de résolument ... définitif. Bouleversante conclusion.
 

Masterclass avec le Quatuor Confluence au Carré d'Art © Les Volques
 
Parallèlement aux concerts, le Festival « Les Volques » présente un volet pédagogique très développé, qui le conduit a proposer rencontres et masterclasses. Dans le cadre d’un partenariat avec ProQuartet, des groupes d’élèves du Conservatoire de Nîmes ont ainsi eu le privilège de travailler avec les membres du Quatuor Confluence (Charlotte Saluste-Bridoux, Lorraine Campet, Pierre-Antoine Codron et Tom Almerge-Zerillo) à l’auditorium du Carré d’Art. Face à des musiciens amateurs de niveaux variables, chacun aura pu juger de la démarche toujours très positive de jeunes professionnels qui, avec un grand sens de l’image et des commentaires suggestifs, ont fourni aux élèves matière à progresser et à affermir leur perception de la musique.
 
Alain Cochard

 Nîmes, Le Spot (concert), Auditorium du Carré d’Art (masterclass), 7 décembre 2022.     
 
 
(1) Actualité qui se prolongera au disque en janvier prochain avec la sortie du premier enregistrement mondial de A Little Summer Suite (2015), partition incluse dans un programme « Poétesses symphoniques » de l’Orchestre national de Metz Grand Est dirigé par David Reiland. Il comprend en outre des pièces signées Holmès, Boulanger et Bonis. (1CD La Dolce Volta / LDV 103)

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