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Festival de Printemps à Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts – Au bonheur des transcriptions – Compte-rendu

 

Concertiste et compositeur, Éric Lebrun a de longue date bien d’autres activités : s’il ouvre sa tribune de Saint-Antoine aux musiciens les plus divers, avec une place de choix pour la musique d’aujourd’hui, il permet aussi au plus grand nombre, de manière vive et éclairante, d’aborder la vie et l’œuvre de compositeurs majeurs dans ses monographies (publiées chez Bleu Nuit Éditeur, collection Horizons) : Buxtehude, Boëly (avec Brigitte François-Sappey), Franck, Bach, Debussy et, fin 2023, Gabriel Fauré, à l’occasion du centenaire de la mort du compositeur (1). S’y ajoute le pédagogue auquel on doit nombre d’initiatives permettant à de jeunes musiciens de s’affirmer, et pas seulement dans le grand répertoire. Ainsi en concert le 26 mars au Conservatoire de Saint-Maur-des-Fossés, pour la parution du séduisant CD Singulièrement plurielles II (Chanteloup Musique), dans un programme dédié à des compositrices : de Francesca Caccini, Maria Theresia von Paradis, Fanny Mendelssohn ou Clara Schumann à Pauline Viardot, Ethel Barns, Cécile Chaminade, Nadia et Lili Boulanger, Germaine Tailleferre, Madeleine Will, Odette de Montesquiou et Édith Canat de Chizy, mais aussi Florentine Mulsant, Victoire de la Musique 2024 (1), toutes interprétées par des élèves de 3et 4cycles (orgue, voix, cordes) de Saint-Maur.
 
Autour de Fauré
 
Parmi les rendez-vous proposés par Éric Lebrun figure le Festival de Printemps à Saint-Antoine. Ouvert le vendredi par la soprano Marie Elise Weigel et David Cassan à l’orgue, il conviait le lendemain à une visite de l’orgue Cavaillé-Coll (1894), une conférence « Vie et œuvre de Gabriel Fauré » et un concert à quatre mains : Marie-Ange Leurent et Éric Lebrun, tout naturellement dédié à « Gabriel Fauré et son temps ». Fidèle à son habitude poétiquement pédagogique, Éric Lebrun présenta la soirée en insistant sur les rapports d’influences musicales, d’amitié et de liens personnels entre les musiciens inscrits au programme – ainsi Fauré, brièvement fiancé à Marianne Viardot, fille de Pauline Garcia-Viardot, eut-il une liaison avec Emma Bardac (future seconde épouse de Debussy), dont il fréquentait le salon : la Suite op. 56 est dédiée à sa fille, Hélène, dite Dolly…
 
L’extrême souplesse de restitution des œuvres transcrites à et pour quatre mains offre un champ des possibles infini. Fanfare de La Péri de Dukas, extrait de Jeux d’enfants de Bizet, Menuet de Masques et Bergamasques de Fauré mais aussi du Tombeau de Couperin de Ravel, évocation de la Petite Suite de Debussy (ébouriffant Ballet), Alza Pepita ! de Pauline Viardot (donnant envie d’entendre aux claviers l’España de Chabrier), Fossiles du Carnaval de Saint-Saëns (gravé intégralement à l’orgue Fossaert de Vouvant), Pavane et pages de Dolly de Fauré. Au cœur de la soirée, le mouvement lent de la Symphonie de Franck, authentique chef-d’œuvre « pour orgue ». Les timbres de l’orgue de Saint-Antoine, construit pour l’hôtel particulier du baron de l’Épée avenue des Champs-Élysées, racheté en 1907 par Christian de Bertier de Sauvigny pour la nouvelle église de l’avenue Ledru Rollin, ont gardé un caractère chambriste, d’une subtilité et d’un raffinement harmoniques qui font merveille dans ce genre de répertoire, servi par de tels musiciens. On comprend mieux le mot utilisé par les anglophones pour bis : Encore !, car tout ici mériterait d’être entendu, les cycles évoqués en entier et tant de pages conçues en ce temps d’une foisonnante créativité.
 

Le Trio Orpheus © gabriel-bestiondecamboulas.com
 
Message de Paix
 
Transcriptions toujours le lendemain avec le Trio Orpheus : Benjamin Ortiz (violon), Stéphan Soeder (violoncelle) et Gabriel Bestion de Camboulas (orgue), titulaire de Saint-Paul-Saint-Louis à Paris, dans un nouveau programme où la danse est omniprésente : Message de Paix. Lequel s’ouvre sur la Cantilena de la 5Bachianas brasileiras de Heitor Villa-Lobos, « infatigable ambassadeur de la paix, de l’Amazonie à la campagne chinoise » : il faut bien tour à tour les trois instruments pour se substituer, magnifiquement, à la voix d’une Victoria de los Ángeles. Allegretto de la Septième Symphonie de Beethoven, plus vrai que nature, où retentit (transcription Hans Sitt) l’essentiel de la matière musicale si subtilement distribuée que l’on croit en entendre un double chambriste absolument complet. Puis deux compositeurs en lien avec la Seconde Guerre mondiale : Francis Poulenc, citant effrontément devant un parterre de dignitaires nazis, dans Le Lion amoureux de ses Animaux modèles, la chanson Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine… ; Jehan Alain et sa Danse funèbre pour honorer une mémoire héroïque.
 
À l’omniprésence de la danse répond celle du contrepoint. Fugue en sol mineur BWV 578 pour orgue de Bach, lumineusement répartie entre les membres du Trio : les adaptations sont de Gabriel Bestion de Camboulas ; dense et âpre Fuga y misterio du tango opérita d’Astor Piazzolla María de Buenos Aires. Les cordes, dans une acoustique porteuse comme celle de Saint-Antoine, rivalisent d’aisance et de projection avec l’orgue, dans une saisissante intégration des trois solistes. À la suite d’une autre version de la Pavane de Fauré, en réponse au thème du week-end, un bis : Danse macabre de Saint-Saëns, enregistrée par le Trio Orpheus (avec alors Francine Trachier au violon) sur un CD Calliope à l’intitulé si bien trouvé : Alchimie.

Michel Roubinet

 
(1) Lire l’interview : www.concertclassic.com/article/une-interview-de-florentine-mulsant-compositrice-jessaie-de-tirer-le-meilleur-de-ce-qui-est
 
Paris, église Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts, 13 & 14 avril 2024
 
 
(1) Éric Lebrun au micro de Philippe Venturini (France Musique, Sous la couverture)
www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/sous-la-couverture/eric-lebrun-gabriel-faure-chez-bleu-nuit-editeur-1202361
www.ericlebrun.com/livres/

 
Sites internet
Marie-Ange Leurent et Éric Lebrun (Notre-Dame de Lorette et Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts, Paris)
www.ericlebrun.com
 
Gabriel Bestion de Camboulas et Trio Orpheus
gabriel-bestiondecamboulas.com/trio-orpheus
 
• Prochain concert de Gabriel Bestion de Camboulas, le 12 mai à Brunoy (Essonne)
www.amisdesorguesdebrunoy.fr/2024/02/14/le-jour-de-l’orgue-concert-orgue-et-violoncelle/
 
• Prochain concert du Trio Orpheus dans ce même programme, le 1er septembre à Louviers (Eure), en clôture du Festival Orgues en fête
www.concertclassic.com/concert/orgues-en-fete-concert-de-cloture
 
 > Voir les prochains concerts d'orgue en France

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