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Festival de Dresde 2023 – Le grand tourbillon – Compte-rendu

 

Cela fait maintenant quinze ans que Jan Vogler a ajouté à son archet de violoncelliste la houlette de directeur du Festival de Dresde, et grâce à son énergie dévorante, son esprit en ébullition, sa curiosité et son charisme, la sublime ville-musée connaît pendant plus d’un mois, chaque fin de printemps, une avalanche de sonorités, de découvertes, tout autant que de chefs d’œuvres et de personnalités confirmées qui l’inscrivent dans une démarche de vie et ajoutent un élan vitaminé à la splendeur figée de ses éblouissants palais et objets d’art.
 
Pas de véritable thématique pour cette session, cela serait véritablement trop complexe à tenir et limiterait la curiosité du public, mais une incroyable variété d’horizons abordés, il est vrai , dans une foule de lieux. Peu de festivals disposent en effet d’autant de structures d’accueil, permettant d’aller de vieux site industriel à l’énormité des voûtes de la Frauenkirche, d’un salle de concerts de très haut niveau, le Kultur palast à d’autres plus modestes, de château en château, d’église en église, de théâtre d’avant-garde comme Hellerau (avant-garde du siècle dernier !)  à une salle aussi institutionnelle que le Semper Oper, des terrasses en plein air dominant l’Elbe au Deutsche Hygien Museum.
 
Une vingtaine de sites accueille donc cette année un flot de 69 concerts, réunis sous le vocable de Black and White, façon pour Vogler de dire les contrastes dont la musique se fait le chantre ou le vecteur, et qu’elle accompagne. A titre emblématique, le Festival de l’année, ouvert par Tugan Sokhiev et la Philharmonie de Munich pour Chostakovitch et Mahler, se clôt le 18 juin avec le jazz de Wynton Marsalis ! Enfant du pays, Vogler a fait le grand saut vers le Nouveau Monde, puisque sa vie et sa carrière ont leur centre à New York, et il aime à croiser ces voix multiples sur fond de vieille culture.
 

Jan Vogler (directeur artistique du Festival de Dresde) que l'on retrouvera à la Seine Musicale le 25 juin, avec l'Orchestre du Festival de Dresde dirigé par Ivor Bolton © Timor Raz
 
Au sommet avec les Hagen
 
De très grandes pointures en tout genre auront donc défilé cette année, comme à l’accoutumée, de Jordi Savall dans la Missa Solemnis de Beethoven à Hélène Grimaud, de Daniele Gatti à Omer Meir Weber et au chef prodige Tarmo Peltokoski, du violon affirmé de Midori à celui éblouissant du tout jeune Américan Kevin Zhu, avec des orchestres tels que le Philharmonique Arturo Toscanini, l’Orchestre du Mozarteum de Salzbourg, celui de la Staatskapelle de Dresde, ou le Philharmonique des Pays Bas, et qu’Anne-Sophie Mutter a alterné avec Somi, héritière de Myriam Makeba. S’y est ajouté un surprenant projet des symphonies de Beethoven au piano, ainsi que le premier volet, sur instruments d’époque, de la tétralogie wagnérienne, avec l’Or du Rhin, dirigé le 14 juin par Kent Nagano, et qui se poursuivra lors des éditions suivantes.
 
Sommet ascensionné parmi tant d’autres, le concert du Quatuor Hagen (photo), offert dans le Palais im Grossen Garten, dont les structures laissées volontairement un peu délabrées, au sein d’un vaste parc, ne sont pas sans évoquer le charme de nos Bouffes du Nord, mais un peu plus loin de l’hystérie urbaine : instants de force impressionnante, d’originalité dans les sonorités, de fusion organique, que cette formation familiale, soudée jusqu’à la moindre fibre, pour passer de la grâce subtile et mobile des Quatuors n°22 op. 18/2 et n°23 op.18/3 de Beethoven aux coups d’éclats et de talons, aux points d’interrogation lancés par Chostakovitch dans son Quatuor n°14 op. 142. La paix, la guerre, la finesse d’un monde rêvé et la lourdeur d’un autre lourdement vécu : toutes ces oppositions dont le Festival entend se faire l’écho.
 

 Photo © Killig Bild
 
Un idéal d’identité germanique
 
Autre moment d’autant plus surprenant que malgré sa célébrité, l’œuvre reste l’apanage de la culture allemande, à l’exception de son ouverture, fréquemment jouée : on a, avec Genoveva de Schumann, créé en 1850 à Leipzig et si peu entendu en France, eu l’occasion de vérifier à quel point le compositeur, qui rêvait d’un drame lyrique finalement assez proche de l’univers que Wagner était en train de créer avec  Lohengrin, était moins doué pour traiter d’un sujet circonstancié que d’un thème purement musical ou psychologique. Et surtout à quel point il était habité par un idéal d’identité germanique forte, bien plus que le Fidelio de Beethoven dont il se réclamait pourtant, lequel ne tendait qu’à un rêve universel. Des envolées superbes, notamment dues aux grandes voix de Carolyn Sampson, Marcel Beekmann et Johannes Weisser, outre l’impressionnante magicienne incarnée par Marie Seidler, ont donc alterné avec des tunnels où l’écriture de Schumann s’engouffre avec ses couleurs, sa véhémence habituelle, son romantisme débridé, mais sans parvenir à nous intéresser au sort de ces personnages descendus de quelque fresque.
Le tout vaillamment  tenu par le Helsinki Baroque Orchestra dirigé par Aapo Häkkinen et scandé par le Chœur Arnold Schoenberg, sur une scène partagée en deux : orchestre à gauche, chœur à droite, lequel chœur portait gilets et coiffes médiévales drôlement esquissées, pour ajouter une pointe d‘humour à une œuvre qui n’en affiche guère, tandis que sur l’écran des galeries de colonnes, créées par la plasticienne Kristina Helin, et évocatrices de ce temps carolingien, défilaient avec une poésie mélancolique. Expérience culturellement plus qu’intéressante, au sens le plus large du terme, et qui s’intégrait parfaitement avec l’esprit polyvalent de ce festival conçu comme un puzzle, et dont les pièces dessinent le visage multiple de la musique.
 
Jacqueline Thuilleux
 

 
Festival de Dresde, jusqu’au 18 juin 2023. www.musikspiele.com

La Seine Musicale, le 25 juin 2023, Jan Vogler et l’Orchestre du Festival de Dresde, dir. Ivor Bolton, Haydn et Mozart. www.laseinemusicale.com/spectacles-concerts/jupiter-ultime-symphonie/
 
A écouter  Concertos pour violoncelle d’Edouard Lalo et d’Enrique Casals ;  Jan Vogler avec le Moritzburg Festival (Sony classical)

 
Photo © Harald Hoffmann

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