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Festival ClassiCahors 2023 – De la Renaissance au siècle de Colette – Compte-rendu

 

Créé en 2016 par Emmanuel Pélaprat, son directeur artistique (et titulaire du Puget de Notre-Dame du Taur à Toulouse), le Festival ClassiCahors investit divers lieux de la vieille cité lotoise et du Grand Cahors. Solidement ancré dans l'été musical de la région, il apporte une très appréciable plus-value culturelle dans cette partie nord de l'Occitanie, moins favorisée que les aires toulousaine, montpelliéraine ou montalbanaise, ou encore le Périgord voisin. Sa programmation éclectique entend motiver des publics variés, de Cahors et du Lot mais aussi de l'extérieur, avec déjà des habitués venant de l'étranger. Onze concerts ponctuent cette 8e édition, sans thématique spécifique ni époques ou esthétiques privilégiées : la musique classique dans sa diversité, avec en ouverture l'Orchestre National du Capitole de Toulouse, fidèle parmi les fidèles dès l'origine, et en clôture l'Orchestre du Festival constitué de jeunes musiciens diplômés des conservatoires supérieurs participant à l'académie de musique de chambre du Quatuor Dutilleux.
 
Parmi les invités du festival 2023 figurent le duo Saskia Lethiec-Jérôme Granjon ; Théotime Langlois de Swarte et l'Orchestre de l'Opéra Royal de Versailles ; Marie-Laure Garnier et le Quatuor Dutilleux ; Ophélie Gaillard et Sandrine Chatron ; Lucienne Renaudin-Vary et Emmanuel Pélaprat à l'orgue Stoltz-Guillemin (1863-1993) de la cathédrale Saint-Étienne – Michel Piquemal proposant par ailleurs la Petite Messe solennelle de Rossini, avec notamment le Chœur de l'Académie du Festival.
 
 

Gabriel Rignol © Thibaud Galvan

Deux concerts de la première semaine reflètent cette diversité contrastée. Tout d'abord celui d'un jeune musicien qui a déjà tout d'un grand : Gabriel Rignol (photo), fils du pianiste François-Michel Rignol et frère de la violiste Myriam Rignol – bon sang ne saurait mentir –, lui-même déjà à la tête d'un ensemble reconnu, La Nébuleuse (1). Pratiquant avec aisance divers instruments à cordes pincées, du luth à la guitare baroque, c'est au théorbe qu'il s'est fait entendre en l'église Saint-Pierre de Caillac, ultime récital d'une intense tournée, avant de rejoindre les Quotidiennes de Vézelay (résidence et création de Breve è la Vita Nostra) (2). Son programme soliste pour ClassiCahors, présenté par le musicien avec cette faconde et cette simplicité propres à la jeune génération, encline à établir par la parole un contact chaleureux avec le public, confrontait de prime abord un vaste choix de pièces signées des pères présomptifs du théorbe : Johannes Hieronymus Kapsberger, Bellerofonte Castaldi et Alessandro Piccinini.

Jaillissement musical
 
Outre sa maîtrise instrumentale souveraine et « spontanée » – avec cette fascinante technique du pouce de main droite menant une double vie : il participe avec les autres doigts au petit jeu (premier jeu de cordes, registre principal) mais assume aussi, seul et au prix d'une extension phénoménale, l'impressionnante résonance du grand jeu (second jeu de cordes, registre grave) –, Gabriel Rignol enchante par une musicalité inventive, d'autant plus que le rôle de l'interprète est majeur dans la restitution de ces musiques de la Renaissance tardive. Plus encore, il s'entend à en faire revivre l'extrême liberté, rythmique et harmonique, aventureuse et faisant presque croire que la musique jaillit, improvisée, des doigts d'un rhapsode inspiré. Une vaste suite de pièces de Robert de Visée apporta un autre éclairage, français et d'une suprême élégance, via des Folies d'Espagne de toute beauté. Bach refermait cette monumentale soirée (tout par cœur !) – ébahissement du public de constater que le théorbe sonne large et de façon somptueuse jusqu'au dernier rang –, avec une transcription par l'interprète de la Suite n°1 pour violoncelle de Bach, inspirée du travail de Bach lui-même sur la Suite n°5 transcrite pour le luth. Si l'on y perd la virevoltante liberté du XVIIsiècle, on y gagne le génie de Bach. Un récital coup de cœur, une évidence.
 

© Thibaud Galvan
 
Séduisante évocation
 
Le lendemain, dans l'Auditorium du Conservatoire Philippe Gaubert (le célèbre flûtiste, compositeur et chef d'orchestre était natif de Cahors), hommage fut rendu à [Sidonie-Gabrielle] Colette, à l'occasion des 150 ans de sa naissance, par la Compagnie Théâtre en fusion (2). Conçu par la pianiste Virginie Gros, qui avec Cédric Boyer alternaient pièces originales à quatre et à deux mains, le spectacle fait revivre avec intensité et beaucoup de séduction le temps de l'écrivaine et des salons parisiens. En costume d'époque ou habit masculin de soirée pour « la dame qui chante » (où Colette passe de la critique, d'un humour féroce et irrésistible, à l'admiration la plus communicative pour l'art du chant), la comédienne Moana Ferré déploie avec ferveur, esprit, lyrisme et une joyeuse ironie, un florilège de textes de Colette empruntant, entre autres, à Mes apprentissages, Un salon en 1900 (Journal à rebours) ou encore l'admirable Les vrilles de la vigne, sans oublier « l'interview » de Toby-chien par laquelle Colette s'était affranchie du carcan de femme d'écrivain, affirmant l'autonomie acérée de sa pensée, sa propre perception du monde et sa pleine liberté de femme témoin de son temps.
 

© Thibaud Galvan
 
Agrémenté de projections (animée pour le bouledogue Toby, auquel le comédien Xavier Béja prête sa voix), ce concert-lecture donne lieu à des portraits joliment cernés de Fauré, Debussy et Ravel – ce dernier particulièrement émouvant à l'évocation de la fin de sa vie. Bien que par moments assez durement timbré, également du fait de l'instrument ou de l'acoustique clarissime mais sans le charme intimiste et poétique d'un théâtre ou d'un salon, l'abondante partie musicale fit entendre, en un superbe dialogue avec la voix de Colette, un choix varié et représentatif d'œuvres de ces compositeurs mais aussi de Satie ou Reynaldo Hahn, des moqueurs Souvenirs de Bayreuth de Fauré-Messager au Jardin féerique de Ma mère l'Oye de Ravel pour le quatre mains, faisant la part belle à Debussy pour le deux mains : Golliwogg's Cake Walk de Children's Corner, Clair de lune de la Suite bergamasque, Jardin sous la pluie des Estampes… Reflet sensible de la place de la musique dans la vie de Colette, ce spectacle sera repris en septembre à Châtillon-Coligny et au Grand Palais Éphémère à Paris, en novembre à Issy-les-Moulineaux, en décembre de nouveau à Paris, au Musée Henner.
 
Michel Roubinet
 

 
Église de Caillac et Auditorium du Grand Cahors, 23 et 24 juillet 2023 //Festival ClassiCahors, jusqu’au 7 août 2023 : classicahors.com
 
 
(1) Gabriel Rignol – La Nébuleuse
ensemblelanebuleuse.com/musiciens/gabriel-rignol/
 
(2) www.lacitedelavoix.net/festival/quotidiennes/

(3) Colette et la musique – Compagnie Théâtre en fusion
https://www.theatreenfusion.com

 

Photo © Thibaud Galvan

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