Journal
Fausto de Louise Bertin au Théâtre des Champs-Elysées / Festival Palazzetto Bru Zane 2023 – Satan vomit les tièdes – Compte-rendu
Alors que le grand retour en force des compositrices nous vaudra les premières représentations scéniques modernes de La Esmeralda (1836) en ouverture de saison prochaine à Saint-Etienne, un autre opéra de Louise Bertin est ressuscité en concert sous les auspices du Palazzetto Bru Zane. A l’écoute de Fausto (1831), on comprend parfaitement que Berlioz ait pu juger « virile, forte et neuve » la musique de sa consœur : cette partition n’a en effet rien à voir avec les ouvrages de dames auxquels le XIXe siècle reléguait souvent les femmes ayant des ambitions artistiques. Formée par Fétis et Reicha, Louise Bertin voyait grand et ne manquait pas de témérité, même si l’on perçoit aussi chez elle un tiraillement entre des esthétiques opposées.
Diana Axentii (Marta), Karina Gauvin (Margarita), Karine Deshayes (Fausto) & Ante Jerkunica (Mefisto), Chœur de la Radio flamande © Gil Lefauconnier
Devant livrer un opéra semi-seria pour le Théâtre-Italien, la compositrice et librettiste dut se plier à des exigences linguistiques et théâtrales qui étonnent aujourd’hui : le Faust de Gounod inclut bien le personnage ridicule de Dame Marthe, mais ce Fausto (le texte, de la compositrice, dut être traduit en vers italien avant d’être mis en musique) inclut des scènes comiques que l’on croirait sorties du Barbier de Séville, les récitatifs accompagnés au pianoforte évoquant eux aussi Rossini. La musique italienne est aussi présente à d’autres moments, par exemple dans l’air de Valentin, qu’aurait pu écrire Bellini ou Donizetti. Mais pour le reste, que l’on songe à l’ouverture ou à tous les passages diaboliques, c’est dans une tradition plus germanique que s’inscrit Louise Bertin, du Mozart de Don Giovanni au Meyerbeer de Robert le Diable en passant par le Weber du Freischütz. On est souvent frappé par une inventivité étonnante dans les alliances des timbres instrumentaux, la compositrice ne reculant devant aucune audace pour créer un climat satanique. Quoi que l’on pense de son talent, une chose est sûre, Louise Bertin n’était pas une tiède.
Christophe Rousset © Gil Lefauconnier
Christophe Rousset ne saurait lui non plus être accusé de tiédeur dans sa direction : loin de les atténuer, il souligne toutes les bizarreries assumées de la partition, ses ruptures et ses coups d’éclat, et ne craint pas de déchaîner les forces de son orchestre, notamment du côté des cuivres, les Talens Lyriques apparaissant en formation très fournie pour respecter les intentions symphoniques de Louise Bertin. Le Chœur de la radio flamande, désormais habitué de ces opérations, livre lui aussi une prestation remarquable par sa puissance, plusieurs membres des pupitres féminins se détachant pour intervenir comme solistes lors de la scène de l’église.
Ante Jerkunica © Gil Lefauconnier
Auréolée de son récent triomphe avignonnais en Dalila, Marie Gautrot se reconvertit sans peine ici en « voisine un peu mûre », tandis que le personnage bouffe de Wagner est campé avec une belle assurance par Thibault de Damas. Diana Axentii sait éviter la caricature en sorcière, et on lui en sait gré. Valentin n’apparaît que sur le tard dans Fausto, mais Nico Darmanin ne passe pas inaperçu, sa virtuosité et ses aigus claironnés révélant un belcantiste de choix. Le Mefisto d’Ante Jerkunica n’appelle que des éloges : timbre d’une noirceur idéale, présence théâtrale délicieusement ironique et intelligence du texte, jusque dans le chant syllabique dans l’équivalent de la scène du jardin.
Ante Jerkunica (Mefisto) & Marie Gautrot (Catarina) © Gil Lefauconnier
Karina Gauvin est une Margarita pulpeuse à qui l’on regrette que la partition n’accorde aucun grand air mémorable, malgré de belles cantilènes et duos avec le rôle-titre. A la création en 1831, le docteur Faust était un ténor mais il semble que Louise Bertin ait initialement eu en tête la contralto Rosmunda Pisaroni, créatrice entre autres du personnage de Malcolm dans La donna del lago : à Karine Deshayes (photo) incombe donc un rôle dont elle n’a peut-être pas tout à fait les ressources dans le grave, mais auquel elle prête toute la vigueur dont elle est capable, comme elle l’a récemment prouvé avec sa superbe Valentine des Huguenots marseillais. Le disque à paraître en janvier prochain permettra d’affiner le jugement sur les interprètes et sur une œuvre qui ne saurait laisser indifférent.
Laurent Bury
Louise Bertin : Fausto – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 20 juin 2023 / 10e Festival Bru Zane Paris, jusqu'au 4 juillet 2023 : bru-zane.com/fr/#
Photo © Gil Lefauconnier
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