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The Fairy Queen par les Arts Florissants (chor. Mourad Merzouki) à la Cité de la musique – La voie royale – Compte-rendu

  

C’est en 1989, dans la foulée de la production du Festival d’Aix-en-Provence, mise en scène par Adrian Noble, que William Christie et ses Arts Florissants enregistrèrent The Fairy Queen, partition créée en 1692 et qui avait souffert d’un long oubli puisqu’elle ne fut retrouvée qu’au début du XXe siècle. Entre Purcell et Britten, les deux grands musiciens authentiquement anglais, deux siècles s’étaient écoulés, sur lesquels avaient régné deux Allemands, Haendel et Mendelssohn… Découpé tel que Christie l’avait présenté Christie à Aix, revoici l’enchantement, le rêve, dans lequel il faut se laisser couler, comme sur une barque flottant sur la Tamise..., en s’arrachant au temps.
 
Car, rien ou presque dans ce semi-opéra, comme on le disait alors, ne répond véritablement au Songe d’une Nuit d’été shakespearien : entrelacés avec la pièce, en un spectacle qui devait durer cinq heures (il est vrai qu’alors, la plus grande liberté régnait dans la tenue du public), ces masques, intermèdes où la danse jouait un rôle majeur, se succèdent en saynètes dominées par des êtres surnaturels ou des mimes et ne racontent aucune histoire, sauf celle d’un monde magique dont la musique, le chant et la danse tiendraient la baguette en une amoureuse fusion.
 
Entreprise fascinante que celle menée par William Christie et Paul Agnew, maîtres des Arts Florissants, avec ce conte aux senteurs ensorcelantes, dont la présente production fut donnée en primeur l’été dernier lors du festival Dans les Jardins de Thiré, lieu cher au cœur et aux exigeants raffinements de William Christie, tel un Pavillon d’Armide. La vraie originalité du spectacle étant de l’avoir en partie confié à Mourad Merzouki, maître ès hip-hop, avec sa petite compagnie Käfig.
L’âme de ce baroque est folie, on le sait, on s’en régale et la danse de Merzouki, intelligente à l’extrême, mêle avec une inventivité stupéfiante la fantaisie déchaînée, la virtuosité de corps survoltés. Preuve que le hip hop, si on l’éloigne un peu de ses origines strictement urbaines et revendicatrices, parvient à ce jour à se structurer, à trouver des codes, à se prêter au narratif, tout en gardant sa phénoménale liberté. Où l’intelligente expressivité succède aux seuls cris du corps, en une démarche qui, dit Merzouki, l’a libéré de sa zone de confort.
 

Paul Agnew © Oscar Ortega

Dire que l’interprétation des Arts Florissants, ici menés par Paul Agnew, qui baignent ici dans leur verger de toujours est d’un raffinement inouï, bien qu’attendu, va de soi. Et la délicatesse autant que les couleurs chatoyantes de la musique de Purcell, par des instrumentistes inspirés et totalement convaincus, engendre une beauté impalpable. Quant aux jeunes chanteurs mis en avant par le Jardin des Voix (on a ici affaire aux lauréats de la 11édition), ils s’immergent dans cette féerie avec une délicieuse émotion, notamment lorsque la voix de la mezzo Juliette Mey plane longuement en une complainte qui n’est pas sans rappeler la Mort de Didon, en moins tragique, ou que le formidable  baryton britannique Hugo Herman-Wilson impose sa sature et sa drôlerie.
Mais on admire par-dessus tout, car c’est nouveau, la façon dont Merzouki les a mêlés aux danseurs, sans pour autant leur demander de performances, car tous ces interprètes sont jeunes, et capables de se mouvoir, s’ils sont dirigés habilement. Un groupe dont émergent les six acrobates-danseurs, en des sauts incroyables, des bondissements d’une élasticité irréelle, des tournoiements et des battements de bras qui en paraissent désossés, pour créer un climat d’étrangeté qui nous arrache au réel.
 
Seul point faible, et il est malheureusement de taille, le peu de rapport de la salle des concerts de la Cité de la musique, nullement pensée pour le spectacle, mais seulement pour la musique, avec les évolutions des danseurs et les diktats d’une représentation. Pas de pente, pour en arriver à une estrade dont on ne décrypte l’agitation que si l’on a au moins 1m.80, des lumières tristes et de surcroît l’absence de costumes, ici signés Claire Shirck, donnant peu à rêver, puisque les danseurs s’ébattent en vestes et pantalons noirs, avant de passer à quelques blouses flottantes et légèrement colorées. Sans aller jusqu’aux fastueux ornements baroques, cette sobriété de banquiers en folie du samedi soir, nuit au charme de la soirée, laquelle était sûrement plus séduisante dans la nuit fleurie vendéenne que sous les durs tracés de ce cadre austère. Mais on parvient heureusement à l’oublier, et à ne garder en tête que ces prodigieuses évolutions, ce flot musical enveloppant, ce désir d’ailleurs, ce besoin d’être autre, autrement. Et les Arts Florissants sont maîtres dans cet art d’enchanteurs.
 
Jacqueline Thuilleux

 

(1) Le Jardins des Voix / 11e édition :   Paulina Francisco (sopr.), Georgia Burashko (mezzo), Rebecca Legget (mezzo), Juliette Mey (mezzo), Rodrigo Carreto (ténor), Ilja Aksionov (ténor), Hugo Herman-Wilson (baryton), Benjamin Schilperoort (baryton-basse).
 
 
Purcell : Fairy Queen - Cité de la musique, Salle des Concerts, 4 janvier 2024 // philharmoniedeparis.fr/fr/activite/opera/26261-henry-purcell-fairy-queen
 
Photo © Julie Cherki

 

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