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​Enrique Mazzola, directeur musical et chef principal de l’Orchestre national d’Île-de-France – « Je suis parvenu à un rapport d’énorme sincérité avec l’orchestre »

Les affinités d’Enrique Mazzola avec Rossini – et plus généralement tout le répertoire belcantiste – ne sont plus à souligner. Du Met à Berlin, en passant par Glyndebourne, les plus grandes institutions lyriques font appel à lui. Il Signor Bruschino, réalisation de jeunesse (1813) du futur auteur du Barbier de Séville, que le chef italien dirige (en version mise en espace), du 28 février au 4 mars (à Meaux, Maisons-Alfort, Massy et Plaisir), est l’un des moments très attendus de la saison de l’Orchestre national d’Île-de-France, ce d’autant qu’il marque la première collaboration de la phalange francilienne avec l’Académie de l’Opéra de Paris.
Enrique Mazzola, que nous retrouvons dans un café parisien par un froid et lumineux après-midi de janvier, attend avec une visible impatience de travailler avec ces jeunes voix. Tout dans la personnalité de l'artiste, souriant et accessible, respire l’envie de faire partager la musique ; vif et décidé son regard traduit la clarté des idées et des projets.
 
Enrique Mazzola © Eric Laforgue

A la rentrée dernière, Mazzola a entamé sa quatrième saison, la première de son second mandat, à la tête de l’Orchestre national d’Île-de-France. 2012 : le ciel budgétaire de l’ONDIF était chargé de bien sombres nuages ... Mazzola prenait la succession de Yoël Levi dans un contexte très délicat. Avec le recul, le musicien considère le chemin parcouru avec satisfaction – sentiment on ne peut plus légitime. « J’ai trouvé un bon orchestre ; Yoël Levi avait fait du bon travail » : Mazzola est tout le contraire des arrogants qui voudraient faire croire que le monde commence avec eux. C’est d’abord – chacun peut en faire le constat – un changement d’esprit qui est intervenu au sein d’un orchestre constitué de « musiciens de grande valeur, qui exercent le métier difficile de porter la musique en Île-de-France ; la vie des instrumentistes de l’ONDIF est très différente de celle des membres des orchestres parisiens, qui disposent de leur salle ». Le directeur musical et chef principal ne manque pas de saluer la « noblesse de la mission de ses musiciens. Après quatre ans et demi passés à leurs côtés, j’éprouve un grand respect pour eux. »  Et d’ajouter : « Par-delà les changements politiques, j’ai l’impression que la Région a conscience du petit diamant que constitue l’ONDIF dans le paysage culturel francilien. »

Orchestre national d’Île-de-France : « J’ai travaillé pour faire connaître l’ONDIF comme l’un des grands orchestres de France, insiste le chef ; il s’agit certes d’un orchestre régional, qui s’occupe principalement de sa région, mais il se situe à un niveau de qualité remarquable. ». L’une de ses plus belles satisfactions depuis son arrivée, Mazzola l’a éprouvée en découvrant, dans le magazine Gramophone, une critique enthousiaste de son premier disque avec l’ONDIF (un tonique programme d’ouvertures italiennes, célèbres ou rares, paru l’an dernier chez #NoMadMusic) - satisfaction et fierté d’abord pour les hommes et les femmes qu’il a le bonheur de diriger.

L’essor de la formation doit beaucoup au statut d’ «orchestre associé » dont elle dispose depuis le départ à la Philharmonie de Paris : « Nous donnons un concert presque tous les mois, des concerts du musique de chambre, nous menons des actions éducatives ; nous ne sommes pas des visiteurs occasionnels », se réjouit Mazzola. Le travail à la Philharmonie nous confronte à d’autres orchestres, français et étrangers, d’où une très forte émulation pour nos musiciens. » Et le succès public est au rendez-vous (la modicité des tarifs de l’ONDIF aide il est vrai) avec 50% de Parisiens et 50% de Franciliens. Public d’une fidélité exemplaire ; il l’était déjà du temps de Pleyel, le phénomène s’est renforcé.

L’émulation tient aussi à la présence de l’ONDIF au Théâtre des Champs-Elysées depuis 2014, grâce la mise en route du cycle des opéras en un acte de Rossini. Patron de la salle de l’avenue Montaigne, Michel Franck n’a évidemment pas manqué de profiter des qualités d’un chef belcantiste de la trempe de Mazzola. Après la Scala di seta et L’occasione fa il ladro, Il Signor Bruschino sera donné le 16 juin prochain (avec une distribution totalement différente de celle de la série qui approche). Perspective là encore stimulante pour un orchestre qui profite par ailleurs de la visibilité internationale que lui offre son concours de composition « Île de créations » auprès des jeunes compositeurs (le 5ème Concours a été remporté, le 2 février dernier, par Matthieu Lemennicier avec l’ouvrage De la ligne à la peau), de sa participation régulière au Festival de Saint-Denis et d’invitations dans d’autres régions (pour l’ouverture du Festival de la Chaise-Dieu l'an passé par exemple) ou à l’étranger (La Création à Vienne l’été prochain, dans le cadre du Festival Haydn).

© Eric Laforgue

La réussite de Mazzola tient aussi aux rapports privilégiés qu’il entretient avec l’équipe de l’ONDIF. Avec Fabienne Voisin, directrice générale, il dialogue de façon permanente et s’est attaché à « construire les meilleures potentialités artistiques au sein d’une rigueur budgétaire exemplaire ».
La méthode de travail de Mazzola ? Elle compte à l’évidence pour beaucoup dans l’enthousiasme qui porte les interprétations de l’ONDIF. « Je ne suis pas naturellement pour les sonorités homogènes. J’adore écouter les personnalités. » Le directeur musical sait qu’il en a quatre-vingt-quinze face à lui lorsque ses troupes sont au complet et profite au maximum des qualités individuelles des instrumentistes. « Nous discutons beaucoup ; je suis parvenu à un rapport d’énorme sincérité avec l’orchestre. Dans presque tous les orchestres, il y a une distance entre le chef et les musiciens ; à l’ONDIF nous nous connaissons tellement bien ... Nous savons que, lorsque nous demandons quelque chose, c’est pour le bien de l’orchestre et de la musique. »

Directeur artistique, Enrique Mazzola a la responsabilité des programmes, du choix des compositeurs invités et des solistes. Mais là encore le travail s’effectue « en dialogue très étroit », avec Anne-Marie Clech (chargée de production artistique) en l’occurrence. En ce moment, le chef et son équipe travaillent déjà à la saison 18-19. Equilibrés entre de grands opus du répertoire et des pages plus rares, les programmes de l’ONDIF n’oublient pas la musique d’aujourd’hui et font régulièrement place à des contemporains. Quant au choix des auteurs, Mazzola se tient « loin des chapelles parisiennes » et se laisse guider « par la qualité de l’écriture, pas par le type de langage ».

Autre axe important – et investissement d’avenir –, l’action en direction du jeune public occupe beaucoup les musiciens de l’ONDIF. Les projets sont nombreux, mais il en est un qui importe beaucoup à Mazzola cette saison. Le belcantiste maestro a en effet travaillé avec Camille Pépin (lauréate du Concours Île de créations 2015) à une adaptation pour « choristes en herbe » du Barbier de Séville :  « Le Petit Babier », que l’on découvrira en juin prochain sous la direction de Quentin Hindley.

A côté de ces entreprises pédagogiques, on en dénombre une foison d’autres, en direction des hôpitaux, des prisons. « Elles font partie de la vie quotidienne de l’orchestre, note Mazzola, et les musiciens sont de plus en plus motivés par ces expériences. » Un constat qui ne peut réjouir celui qui, par le passé, a dirigé le Festival de Montepulciano (créé en 1976 en Toscane par Hans Werner Henze) et partage la philosophie de « la Musique pour tous ».

Quant au disque – moyen précieux pour faire connaître l’orchestre au-delà des frontières régionales et nationales –  après l’anthologie d’ouvertures italiennes sortie l’année dernière, Mazzola et sa phalange réchauffent cette fin d’hiver avec un non moins beau programme Falla (Fanfare pour une fête, Suites du Tricorne, L’Amour sorcier avec la cantaora Esperanza Fernández) (1). Après l’Italie, l’Espagne : un choix logique pour celui qui a vu le jour en deçà des Pyrénées et y a vécu jusqu’à ses cinq ans – moment du décès de son père – avant de partir s’installer avec sa mère en Italie. Un disque en hommage à cette mère, danseuse au Liceo de Barcelone, « mère courageuse » ; la musique de Falla dont Mazzola écrit : «  Je n’ai pas de souvenir précis de ma première écoute de L’Amour sorcier ou du Tricorne, ni même de la première fois où j’ai entendu la musique de Manuel de Falla, mais je sais que cette musique fait partie de mon enfance, de mes souvenirs primordiaux, et en quelque sorte je suis sûr que quand je suis né, la musique de Manuel de Falla était autour de moi. »

Fin de notre entretien : moment propice aux confidences ... « Nous vivons un très beau moment », glisse Mazzola en songeant à la relation avec ses musiciens. Le chef italien a quitté l’Allemagne en 2012, pour vivre à Paris ; pour s’impliquer au mieux dans sa mission à l’ONDIF. « J’ai le sentiment de vivre l’un des plus beaux moments de ma vie ; je me sens bien à Paris, ville où j’ai partagé avec vous, Français, les bons et les mauvais moments de ces dernières années. Pour la première fois de ma vie j’ai le sentiment de faire partie d’une ville. Je dis un grand merci à Paris et, plus généralement à la France qui, depuis mes débuts à l’Opéra de Bordeaux en 2001, suivis de nombreuses participations au Festival de Montpellier, à l’invitation de René Koering, m’a permis de réaliser tant de choses. J’éprouve une énorme reconnaissance pour la France, pour ses institutions. L’artiste en France est encore quelqu’un d’important. En Italie, il semble une erreur de la nature, il n’existe pas. C’est un peu la même chose en Espagne. Nous sommes reconnus en France ; il faut faire trésor de tout cela. »

Alain Cochard

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(Entretien avec Enrique Mazzola réalisé le 18 janvier 2017)

(1) #NoMadMusic NMM041(sortie commerciale le 14/03/17)

Rossini : Il Signor Bruschino
Chanteurs de l’Académie de l’Opéra de Paris, Orchestre national d’Île-de-France, dir. Enrique Mazzola

28 février 2017 – 20h30
Meaux – Théâtre-Luxembourg
2 mars 2017 – 20h45
Maisons-Alfort – Théâtre Claude Debussy
3 mars – 20h
Massy – Opéra
4 mars – 20h30
Plaisir – Espace Coluche
www.orchestre-ile.com/saison.php?id=516&saison=24&lang=fr
 
Photo © Eric Laforgue

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