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Emmanuelle Bertrand joue Marie Jaëll avec l’Orchestre national de Bretagne (Streaming / 6 mars) – « Marie Jaëll est une compositrice que j’ai vraiment envie de partager et de faire connaître ! »

Sa riche discographie en témoigne, l’éclectisme et la curiosité distinguent Emmanuelle Bertrand (photo) depuis le début de son parcours. Rien d'étonnant donc à ce qu'on la retrouve cette semaine dans une rareté de la musique romantique française : le Concerto pour violoncelle en fa majeur de Marie Jaëll (1846-1925). La violoncelliste était attendue en concert dans cet ouvrage, avec l’Orchestre national de Bretagne (puis avec le Philharmonique de Strasbourg) mais, pour reprendre la formule – hélas ! – en vogue, le contexte sanitaire en a décidé autrement ... Tout n’est cependant pas perdu car l’ONB a choisi de réaliser une captation qui sera diffusée le 6 mars. « C’est déjà formidable d’avoir pu sauver quelque chose », glisse E. Bertrand philosophe ...
 

Marie Jaëll © DR
 
Une femme de tempérament

Le Concerto de Marie Jaëll est une connaissance de longue date pour elle : « Alexandre Dratwicki (1) (directeur scientifique du Palazzetto Bru Zane ndr) me l’avait envoyé dès que la partition a été imprimée, et j’ai été par ailleurs sensibilisée au thème des femmes compositrices par ma sœur, Florence Badol-Bertrand, hélas disparue à la fin de l’année passée. Elle était une grande spécialiste de Mozart, mais s’est beaucoup intéressée aussi aux musiciennes de l’époque romantique, Hélène de Montgeroult en particulier. »
Conquise par les qualités de la partition, la violoncelliste ressentit immédiatement le désir de l’interpréter, ce qui est advenu pour la première fois il y a deux ans avec l’Orchestre de Saint-Etienne. « Marie Jaëll est une compositrice que j’ai vraiment envie de partager et de faire connaître ; un femme étonnante, un fort tempérament ! Elle a été tout à fait reconnue en tant qu’interprète, ce qu’elle méritait amplement, mais pas comme compositrice car je pense que, tout simplement, la société de l’époque n’était pas prête pour ça. »
 

Jules Delsart (1844-1900), dédicataire et créateur du Concerto de Marie Jaëll 
 
Concision, simplicité, fourmillement d'idées

Le Concerto pour violoncelle (1880-1882) s’inscrit entre les deux Concertos pour piano (1877 et 1884) et fut créé par Jules Delsart – son dédicataire – et l’Orchestre Lamoureux en mai 1882 salle Erard. Dans sa version orchestrale en tout cas, car on sait que Delsart joua la pièce dès le 26 février 1881 dans la capitale avec Marie Jaëll au piano.
E. Bertrand s’avoue conquise par « la fraîcheur de discours du Concerto, par une manière de chanter d’un grand naturel, d’une profonde simplicité. C’est en même temps une musique de l’instant, on change d’idée très souvent – une grande phrase lyrique est soudainement suivie d’un passage plus agité, puis on revient au chant. Ce fourmillement est caractéristique, et très touchant. Marie Jaëll était une grande virtuose du piano, son Concerto est marqué par cet aspect, note E. Bertrand : on a l’impression d’entendre la digitalité du clavier ; on découvre une écriture que l’on voit rarement – un petit peu chez Saint-Saëns dans certains traits du 1er Concerto (2) notamment, mais pas au même degré – et qui fonctionne remarquablement pour l’exécutant. ». D’une grosse quinzaine de minutes au total, le Concerto pour violoncelle offre « une forme concise, une musique très riche, condensée. La partie d’orchestre est très bien écrite et présente une dimension chambriste dans l’échange avec le soliste dans le premier mouvement et l’Andantino, avant un finale éclatant. »
 

David Molard-Soriano © Matthieu Joffres

Face à l'orchestre

Cette qualité de l’échange, E. Bertrand a souhaité en profiter au maximum durant la captation et a donc décidé de jouer face à l’orchestre – position quelle adopte de façon systématique en répétition –, manière aussi de s'épargner le déplaisir de faire face à une salle vide.
Elle connaît l’Orchestre national de Bretagne depuis ses débuts et a plusieurs fois eu l’occasion de le retrouver (avec des moments très forts tels que la création du Concerto de Thierry Escaich au mitan de la décennie passée, fruit d’une co-commande de l’Orchestre de Rouen, de l’Orchestre national de Bretagne et de l’Orchestre de Picardie.) A Rennes, elle aurait dû jouer sous le direction de Grant Llewellyn (directeur musical de l'ONB depuis la rentrée 2015), avec lequel elle a beaucoup travaillé à l’époque où il dirigeait le BBC National Orchestra of Wales. Bloqué aux Pays de Galles, le chef n’a pu être présent et c’est David Molard-Soriano – directeur musical de l’Orchestre des jeunes d’Île-de-France – qui a pris sa place.

Brahms avec Pascal Amoyel
 
Outre le Concerto de Marie-Jaëll, le concert prévu à Rennes comprenait l’Elégie de Fauré, « une pièce que tout le monde connaît mais que l’on a rarement l’occasion d’entendre avec orchestre, regrette E. Bertrand." La captation rennaise lui a aussi permis de l’enregistrer : on la découvrira en streaming le 13 mars.
Pour l’heure c’est le Concerto de Marie Jaëll  qui occupe la diffusion du 6 mars, au terme d’une semaine qu’Emmanuelle Bertrand a consacrée à un tout autre répertoire. Avec Pascal Amoyel, son mari et partenaire chambriste de prédilection, elle vient d’enregistrer un disque Brahms pour marquer les 20 ans de leur duo. Intitulé «Chant d’amour », le programme comprend les deux sonates, ainsi que six lieder et deux danses hongroises arrangés pour violoncelle et piano. Des œuvres dans lesquelles on devrait souvent retrouver les deux interprètes en concert dès que la vie musicale aura repris un cours normal.
 
Alain Cochard

(1) Rappelons que le Palezzetto Bru Zane a consacré un livre-disque (3 CD) à Marie-Jaëll dans sa collection « Portraits ». On y trouve le tout premier enregistrement du Concerto pour violoncelle sous l’archet de Xavier Phillips et la baguette d’Hervé Niquet (avec le Brussels Philharmonic).

(2) Ouvrage qu'Emmanuelle Bertrand a superbement enregistré avec l'Orchestre symphonique de Lucerne dirigé par James Gaffigan. Les Sonates pour violoncelle et piano no 2 op. 123 et n° 3 op. posth. complètent le programme, avec Pascal Amoyel au piano (Harmonia Mundi / HMM 902210)

Emmanuelle Bertrand, Orchestre national de Bretagne, David Molard-Soriano 
Concerto pour violoncelle de Marie Jaëll (1er mouvement seulement) : diffusion le 6 mars 2021 à 21h
Elégie de Fauré : diffusion le 13 mars 2021 à 21h
sur : www.facebook.com/orchestrenationalbretagne/?utm_source=email&utm_campaign=CP_National__Emmanuelle_Bertrand&utm_medium=email
ou
orchestrenationaldebretagne.bzh/?utm_source=email&utm_campaign=CP_National__Emmanuelle_Bertrand&utm_medium=email
 

 
 Photo © Jean-Baptiste Millot

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