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Émilie Fleury et le Chœur d’enfants de la Maîtrise Notre Dame – Une recréation réussie

Choeur d'enfants

À l’annonce du Stabat Mater (1736) de Pergolèse par le Chœur d’enfants et le Jeune Ensemble (1) de la Maîtrise Notre-Dame de Paris, œuvre reposant sur la confrontation/complémentarité de deux voix solistes rompues au chant orné et servie au disque, dans une extrême diversité esthétique, par les grands noms de l’art lyrique et du baroque, de Mirella Freni et Teresa Berganza (avec Ettore Gracis) à Barbara Bonney et Andreas Scholl (avec Christophe Rousset), du dialogue hors du temps de René Jacobs et Sebastian Hennig à l’approche originale et quelque peu déroutante du Poème Harmonique de Vincent Dumestre, une interrogation ne pouvait que surgir quant à l’arrangement qui serait ici proposé. Il fallait de l’audace pour vouloir s’approprier ainsi ce succès de toujours : un véritable défi pour les enfants du Chœur, confrontés à un « monument » hors de leur portée à l’état naturel et qu’il fallait donc revisiter en l’adaptant à leurs possibilités, pour une recréation de l’œuvre à même de faire progresser tant les individualités que la double formation dans sa globalité.

Choeur d'enfants

© Jean-Baptiste Millot
 
Cette recréation ne pouvait être que le fruit des réflexions d’Émilie Fleury, qui dirige Chœur d’enfants et Jeune Ensemble et connaît mieux que quiconque les potentialités musicales de ses choristes (à partir de huit ans), cependant qu’Yves Castagnet proposait à l’orgue une réponse évoquant avec brio et dans presque tous leurs aspects les parties instrumentales originales. Trois pages françaises de type motet précédèrent le Stabat Mater, mise en condition montrant la faculté d’adaptation des jeunes chanteurs sur le plan de la langue (le latin gallican contrastant avec la prononciation à la romaine pour Pergolèse) : O Jesu amantissime attribué à François Couperin ; Domine, ante te omne desiderium meum de Louis-Nicolas Clérambault, confié au Jeune Ensemble, « branche aînée » du Chœur d’enfants : douze jeunes filles, parmi lesquelles les solistes (sans doute un peu impressionnées) introduisant chaque strophe ; Tota pulchra es d’André Campra (brièvement maître de musique à Notre-Dame avant d’opter pour la scène) pour chœur et solistes, la noble conclusion Surge, propera, amica mea revenant à la double formation au complet.

Yves Castagnet © DR

Accompagnées à l’orgue depuis le chœur – Yves Castagnet fit des merveilles sur le plan de la restitution instrumentale en dépit d’une projection latérale (jusqu’à quelle hauteur de la nef pouvait-on percevoir toute la richesse de sa transcription ?) –, les sections du Stabat Mater de Pergolèse se trouvèrent réparties de manière savamment évaluée entre un chœur multiforme et une douzaine de solistes (d’une plus ou moins grande aisance selon l’instant – on peut imaginer que d’une répétition à l’autre, puis au concert, les prestations auront nécessairement fluctué) se succédant de manière à ne pas outrepasser l’endurance de chacun. Chœur double s’emparant des deux voix, alternées ou simultanées, du Stabat Mater dolorosa initial, soprano solo pour le Cuius animam gementem, chœur de nouveau pour l’O quam tristis et afflicta, et ainsi de suite – avec un unique garçon soliste pour la quatrième section, Quae moerebat et dolebat, à la voix souple et joliment timbrée, homogène et d’une excellente projection. Il serait vain de comparer une telle version, expérimentale et pédagogique, avec les habituelles références, celle-ci devant en outre s’intégrer dans une acoustique de cathédrale, non sans incidences sur tempos et effets de masse, quand bien même, du fait des voix d’enfants, la « légèreté » vocale de l’œuvre se trouvait in fine joliment respectée, sur un rythme général tout simplement autre, musicalement singulier.
 
Si les exigences et les difficultés du texte monopolisaient toute l’énergie et l’attention des jeunes musiciens, limitant la part dévolue à l’interprétation proprement dite au sens où on pourrait l’attendre d’interprètes adultes, l’émotion n’en était pas moins omniprésente, également la puissance et l’éclat : altier Fac, ut ardeat cor meum, où l’orgue pour la première fois resplendit de mixtures chatoyantes, avec notamment des vocalises d’un beau mordant par l’ensemble du « double » chœur, ou encore l’Inflammatus et accensus confié au chœur partagé, d’une souveraine vivacité, du fait également de la présence et de l’acuité de l’orgue, avec d’intenses contrastes dynamiques d’une strophe à l’autre (Inflammatus / Quando corpus morietur).
 
Un beau défi, à haut risque et brillamment relevé, avec ferveur et engagement, dans une veine italienne qui se poursuivra à Notre-Dame, le 12 mars, avec la reprise du programme choral Bach et l’Italie évoqué en novembre dernier (2), suivi le 19 d’un récital d’orgue de Johann Vexo répondant au même intitulé (3) – Bach en regard des maîtres de la Renaissance italienne et du premier baroque.
 
Michel Roubinet

Paris, cathédrale Notre-Dame, 19 février 2019
www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/la-saison-2018-2019
 
(1) www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/choeur-d-enfants
     www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/jeune-ensemble
 
(2) www.concertclassic.com/article/6eme-festival-des-heures-des-bernardins-ouverture-medievale-notre-dame-de-paris
     www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/mardi-12-mars-2019-20h30
 
(3) www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/mardi-19-mars-2019-20h30

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