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Elektra à l’Opéra Bastille – Un seul être vous manque ... – Compte-rendu

Sorti dépité de la première de cette série d’Elektra, nous avons heureusement pu reconsidérer la reprise du spectacle signé Robert Carsen en assistant à la dernière représentation (1er juin). Mollement remontée, cette production vue en 2013 mais créé à Tokyo en 2005, n’était pas au niveau de l’Opéra national au soir du 10 mai. Mauvaise actrice et chanteuse monolithique, Christine Goerke annoncée comme le grand soprano dramatique américain de la décennie, n’était tout simplement pas à la hauteur du rôle-titre abordé d’un seul bloc, sans que l’infinie variété du personnage, ravagé psychologiquement depuis la mort de son père Agamemnon ne soit un instant traduite : ceux qui n’ont jamais vu ni entendu Jones ou Behrens peuvent s’en satisfaire, les autres non …

Déstabilisée par la défection de sa sœur Chrysothémis qui devait être incarnée par Elza van den Heever, Goerke n’a pas su accueillir comme on l’aurait souhaité Camilla Nylund, très en voix mais bien entendu extérieure à la mise en scène, arrivée le matin même pour sauver la soirée. Résultat, un spectacle sans éclat, ni étincelle, alourdi par la direction pesante et sans vie de Semyon Bychkov et par la présence d’Angela Denoke, Clytemnestre physiquement glamourous mais vocalement anémiée. Cette représentation déprimante – elle succédait à celle autrement plus passionnante à laquelle nous avions assisté en 2013, qui réunissait entre autres la torche Irene Theorin et l’impériale Waltraud Meier – a heureusement pu être chassée de notre mémoire grâce à la dernière, dirigée par un autre chef et galvanisée par la présence de la soprano Elza van den Heever.
 

Case Scagalione © Chris Lee

Plus engagé, conduit avec intensité par Case Scaglione, l’orchestre de l’Opéra a tout d’abord rendu au drame straussien son inextinguible fureur et irrigué le récit d’une pulsation autrement plus motivante. Le jeune chef américain, par ailleurs directeur musical de l’Orchestre national d’Île-de-France, n’est ni Böhm, ni Mitropoulos, mais sa lecture surpasse de loin le lénifiant ronron asséné par Bychkov.

Rassérénée pas la présence de sa consœur réapparue à la troisième, Christine Goerke s’est montrée attentive et plus concernée par la sauvagerie de l’héroïne face à l’incendiaire Chrysothémis de Van den Heever.(1) Voix longue au timbre sensuel et aux aigus aussi interminables que glorieux, corps mobile et jeu ardent, son personnage a d’un coup redynamisé le plateau qui avait souffert d’un trop envahissant statisme. Grâce à ce duo en fusion, la confrontation Elektra/Clytemnestre a semblé moins fastidieuse qu’à la première – même si l’instrument d’Angela Denoke ne répond toujours pas aux critères attendus – les retrouvailles d’Elektra et d'Oreste, correctement campé par Tomas Tomasson, gagnant aussi en vigueur. Rien à dire en revanche de l’Egisthe libidineux de Gerhard Siegel et du Précepteur d’Oreste tenu par Philippe Rouillon vingt ans jour pour jour après avoir été l’Oreste de Gwyneth Jones sur cette même scène. Une reprise contrastée donc, instructive, parfait reflet de ce qu’est et demeure le spectacle vivant : un exercice chaque soir recommencé.
 
François Lesueur

(1) Lire l'interview d'Elza van den Heever : www.concertclassic.com/article/une-interview-elza-van-den-heever-soprano-la-musique-de-strauss-me-parle-et-je-ressens-un

Strauss : Elektra – Paris, Opéra Bastille, représentations des 10 mai et 1er juin 2022

Photo © Emilie Brouchon - OnP

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