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El Prometeo d’Antonio Draghi à l’Opéra de Dijon - Revigorante résurrection - Compte-rendu

Toujours à la recherche de partitions oubliées, Leonardo García Alarcón ressuscite El Prometeo. L’opéra avait été créé à la cour de Vienne en 1669 et a ceci de particulier qu’il était composé sur un livret en espagnol. Ce qui pourrait paraître surprenant, mais seulement si l’on méconnaît les contextes de l’époque : époque où l’opéra espagnol existait (depuis 1622 et La gloria de Niquea, tout premier titre d’une liste conséquente au XVIIe siècle), comme bien entendu l’opéra italien, mais où l’opéra germanique n’existait pas et où l’allemand était considéré comme une langue vulgaire ne se prêtant pas à un art élevé. Il y a aussi un contexte particulier : la célébration de l’anniversaire de la reine d’Espagne, le 22 décembre 1669, Marie-Anne d’Autriche. « Doña Mariana de Austria » précise le frontispice du livret imprimé.
 

© Gilles Abegg - Opéra de Dijon
 
Car, à la suite de l’empire de Charles Quint, Vienne en ce temps se donnait fréquemment à des pièces théâtrales espagnoles, accompagnées ou non de musique. Rien d’étonnant dès lors que le compositeur italien mais ayant fait la majeure partie de sa carrière à Vienne, Antonio Draghi (Rimini 1634 / Vienne 1700), ait été sollicité pour cet ouvrage. Ce ne serait pas, au reste, le premier ni le dernier des compositeurs venus de la péninsule italienne, alors en grande partie sous domination politique de l’empire espagnol, à mettre en musique des livrets en langue espagnole. Tout ceci expliquant cela.
 
Revenir à cet opéra n’était cependant pas chose aisée. La partition dormait depuis sa création à la Bibliothèque Léopoldine de Vienne, mais dans un état incomplet. Alors que subsiste le livret intégral, ne restait la musique que des deux premiers actes, sans celle de l’ouverture ni du troisième acte. Devant ce choix délicat et dans le cadre du projet d’une représentation scénique (alors qu’au concert, les deux seuls actes survivants auraient pu éventuellement se justifier), García Alarcón s’est attelé à la tâche difficile composer lui-même la musique manquante. En s’inspirant du style de Draghi, qui mêle récitatifs, arias et ritournelles, dans une façon également proche à la même époque d’un Cavalli. Ainsi, la rupture ne se sent guère à partir du troisième acte, si ce n’est par une présence de lamentos plus insistants, en conformité avec une trame devenue plus dramatique. Sachant, comme l’indique García Alarcón, que « nous sommes bien renseignés sur le type d’instruments utilisés à l’époque à Vienne et sur les choix de Draghi ».
 

© Gilles Abegg - Opéra de Dijon

Le résultat est effectivement convaincant. D’autant que la restitution à l’Auditorium de Dijon se révèle de premier ordre (1). Aux côtés de l’éclatante Ana Quintans (Minerva), chacun des rôles de cette distribution pléthorique échoit à des chanteurs baroqueux expérimentés, dont nombre d’hispanophones : Mariana Flores, Borja Quiza, Victor Torres, mais aussi Fabio Trümpy (Prometeo), Scott Conner, Giuseppina Bridelli, Anna Reinhold ou Kamil Ben Hsaïn Lachiri. Une fête du chant ! Le Chœur de chambre de Namur ne faillit dans la précision à laquelle il nous a habitué. Quant à la Cappella Mediterranea, ses instruments resplendissent sous la direction toujours méticuleusement attentive de García Alarcón.
 

© Gilles Abegg - Opéra de Dijon
 
La mise en scène de Laurent Delvert vise tout aussi juste. Elle hérite en partie d’un premier travail de Gustavo Tambascio (metteur en scène d’origine argentine œuvrant habituellement à Madrid, disparu subitement en février dernier), ce qui explique une équipe de production presque entièrement madrilène. Pour illustrer cette trame, inspirée d’une pièce de Pedro Calderón de la Barca qui voit Prométhée amoureux dans des situations d’une humaine psychologie, le large plateau de l’Auditorium de Dijon s’anime de vêtures et figures (signées Jesús Ruiz) d’un archétype revisité, sous des lumières immatérielles (réglées par Felipe Ramos) et des apparitions de décors filants translucides ou scintillants (dus à Ricardo Sánchez Cuerda), le tout d’une beauté immédiatement saisissante. Des entrées et sorties dans des gestes et mouvements opportuns, des danses virevoltantes (chorégraphiées par Anna Romaní), complètent un tableau des plus évocateurs. Et le public dijonnais, accouru en masse pour cette œuvre rare, de réserver un triomphe mérité.
 
Pierre-René Serna

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(1) voir le reportage vidéo réalisé à Dijon par 3foisC:
www.concertclassic.com/video/el-prometeo-1669-dantonio-draghi
 
Antonio Draghi : El Prometeo – Dijon, Auditorium, 15 Juin 2018.
 
© Gille Abegg – Opéra de Dijon

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