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DVD : Neiges et philtres

Les deux plus belles musiques du monde sont Tristan et Pelléas, affirmation qui n’engage que nous. Des scènes suisses, Zürich pour Debussy, Genève pour Wagner, nous parviennent deux relectures radicales de ces partitions que l’on croit connaître mais qui nous réservent toujours des découvertes. Sven-Eric Bechtolf reste fidèle à son doublage des personnages par leurs mannequins : dans les nombreux jeux de miroirs tendus par le texte de Maeterlinck, le procédé produit des étincelles et l’on n’est pas près d’oublier ce Pelléas et Mélisande expérimental, dont l’action plus violente qu’à l’habitude est ensevelie sous une neige omniprésente.

Nous sommes au royaume des morts, aucun doute possible, et Franz Welser-Möst donne une lecture glacée aux subtilités renversantes. Plateau formidable, qui a travaillé sa prosodie mais la laisse échapper à mesure que la fatigue se fait sentir et que se déroule le spectacle. Gilfry est on s’en doute le plus sexy, le plus irrésistible des Pelléas, Isabel Rey une Mélisande intrigante et presque dangereuse, Volle un modèle pour ceux qui veulent leur Golaud rongé par le remord, et les grandes orgues de Polgar font la première intervention d’Arkel quasi surréelle.

A Genève, Olivier Py renouvelle tous les regards portés jusqu’ici sur Tristan. Une caméra subjective essaye de ressaisir les envoûtements implacables d’un spectacle qui pourtant échappe en grande part à la captation : vous ne retrouverez pas la progression millimétrée du bateau qui occupait tout le I, insaisissable autrement que par une unique plan fixe impossible pour la « saisie » dramatique qu’exige une restitution filmée, de même pour la succession des chambres au II, plus perceptible cependant dans son procédé de fragmentation même. Evidemment, le III avec ses apparitions de fantômes émergés de l’eau (Tristan enfant, mais aussi la mère de Tristan) se coule plus naturellement dans la vidéo, idée d’ailleurs cinématographique qui transportait par son intensité onirique le spectateur médusé.

Tout ce qui menait au frontière du réel dans cette production déjà légendaire ne se retrouve donc que partiellement dans le DVD et le travail d’Andy Sommer se substitue trop au génie qu’Olivier Py avait mis à cette production étreignante. Malgré les limites de son orchestre, Jordan rappelle par sa direction vive, transparente rien moins que le geste flamboyant de son défunt ami Carlos Kleiber, et mis à part le Tristan souvent mis en difficulté de Cliffton Forbis, la distribution époustoufle : Jeanne-Michèle Charbonnet, magicienne avant d’être amoureuse, campe une Isolde inédite et en assure crânement les difficultés, Mihoko Fujimura s’impose comme la Brangäne-mezzo de notre époque, le Roi Marc noble au possible d’Alfred Reiter est un modèle, et le Kurvenal aimant d’Albert Dohmen surprend et convainc.

Jean-Charles Hoffelé

Pelléas et Mélisande de Debussy à l'Opéra de Zurich.

Tristan und Isolde de Wagner au Grand Théâtre de Génève

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