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Du hautbois à la baguette - Une interview de François Leleux

C’est l’un des plus beaux instrumentistes de sa génération, formé par Pierre Pierlot et Maurice Bourgue, puis dans les brassages de la grande école européenne : François Leleux sera au Châtelet ce 11 février pour faire résonner les rythmes inventifs de Mimo II, une œuvre de jeunesse d’Esa-Pekka Salonen donnée dans le cadre du Festival Présences de Radio France.

Comment devient-on hautboïste, enfin, comment l’êtes-vous devenu ?

F.L. : C’est un souhait qui s’est manifesté très tôt : j’avais quatre ans, j’étais en classe d’initiation musicale, et les instruments nous étaient présentés par les élèves du Conservatoire de Roubaix. Dès que j’ai vu le hautbois je me suis tout de suite résolu à en jouer. Ce qui m’a attiré d’emblée était la beauté de l’instrument : cet ébène laqué noir, ces clefs en argent, on oublie trop souvent l’importance du choc esthétique dans le choix de la pratique de tel ou tel instrument. J’ai commencé à cinq ans de façon non officielle – j’étais trop jeune - et à six ans j’ai débuté le cursus.

Que vous ont apporté respectivement Pierre Pierlot et Maurice Bourgue ?

F.L. : Pierlot m’a apporté le sens du rapport naturel certes avec l’instrument, mais aussi avec la musique. Il recherchait avant tout la simplicité, il a encouragé chez moi une certaine spontanéité devant les textes musicaux, surtout à ne pas me poser de fausses questions. J’ai rencontré Maurice Bourgue alors que j’avais quinze ans. Il est arrivé à pic dans mon développement personnel. Il m’a ouvert les portes de la musique, bien au-delà de l’instrument, et avec beaucoup de maestria. En fait Pierlot m’a appris la forme de l’expression et Bourgue m’en a fait comprendre le pourquoi.

Et aujourd’hui quelle place tient l’enseignement dans votre vie ? Je rappelle que vous avez en charge une classe de hautbois au Conservatoire de Munich…

F.L. : Une place primordiale. Tout musicien qui aime son métier veut partager, communiquer sa passion à d’autres générations. Voir des élèves qui s’attachent à votre enseignement, qui en suivant vos conseils développent leur propre personnalité, cela a un effet miroir assez épanouissant, c’est comme le prolongement de votre propre expérience mais quelque chose s’y ajoute dont vous bénéficiez alors. Cette relation va dans les deux sens. Et lorsque l’on voit ses élèves intégrer les grandes formations musicales européennes, cela fait toujours plaisir.

Avez-vous le sentiment que le niveau musical des étudiants a progressé ?

F.L. : Pas le sentiment, la certitude. Le niveau monte tout le temps, les éternels amoureux du passé qui rabâchent sans cesse « avant c’était  mieux » ont pour moi tout faux. Il suffit d’écouter les enregistrements du concours de Munich réalisés au fil des années pour se rendre compte de cette progression.

Et à votre avis pourquoi ?

F.L. : Mais parce que de génération en génération l’être humain s’améliore, devient plus performant. La capacité d’apprendre et d’évoluer ne cesse de croître, je n’ai aucun doute sur le fait que mes enfants sont plus intelligents que moi. Mais l’enseignement a aussi sa part dans ce processus positif. Aujourd’hui l’enseignement est bien plus complet qu’avant, on ne forme pas qu’un technicien, mais un musicien, et cette optique profite également au renforcement de la technique.

Un étudiant aujourd’hui ne vit plus dans le cadre sclérosé d’avant la chute du mur de Berlin, il voyage partout en Europe, décuple ses possibilités, Erasmus a permis tout cela, ces échanges si abondants, si enrichissants. Evidemment l’esprit critique se développe d’autant qu’il se trouve confronté à des univers divers, pris dans des expériences pédagogiques forcément différentes d’un pays à l’autre. D’ailleurs je suis un pur produit d’Erasmus. J’ai participé à l’Orchestre de la Communauté européenne lorsque j’avais quinze ans. Ce n’est pas rien à quinze ans de jouer dans un orchestre dirigé par Abbado, et en plus pour interpréter les Gurrelieder de Schönberg… D’ailleurs ces voyages vous forment à jamais et élargissent votre champ de vision. J’avais une très belle place en tant que hautbois solo à l’Opéra, une des plus belles qu’on puisse espérer à dix-huit ans, mais cela n’a pas suffit à me retenir lorsque l’on j’ai eu l’opportunité de rejoindre l’Orchestre de la Bayerische Rundfunk, où d’ailleurs j’ai retrouvé d’anciens camarades de l’Orchestre de la Communauté européenne. Aujourd’hui mon champs d’action c’est l’Europe, je vis en France, j’enseigne à Munich, je joue et je dirige dans toute l’Europe : aux générations précédentes le destin d’un hautboïste était bien plus « national ». L’Europe nous a appris que l’autre n’est jamais un danger, mais toujours une source d’enrichissement. Malgré les difficultés que nous traversons, il faut espérer que cet axiome continuera à se vérifier.

Depuis vos débuts en tant que musicien d’orchestre, puis au cours de votre carrière de soliste, quels chefs vous ont le plus marqué ?

J’ai adoré travailler avec Myung-Whun Chung, il a été le chef de ma jeunesse. J’aime la force qu’il dégage d’une œuvre par sa recherche d’unité. On a vraiment l’impression qu’il aimerait que l’orchestre soit un énorme piano et que toutes les énergies se focalisent sur un point musical, pas sur lui-même, il ne fait pas du tout partie de cette race de chefs égocentriques qu’on croise trop souvent. J’ai vécu de grandes expériences artistiques sous la direction de Mariss Jansons. Sa capacité à expliquer à l’orchestre ce qu’il veut obtenir en employant des métaphores est absolument géniale. Et évidemment je garde en souvenir les concerts avec Bernard Haitink, cette sagesse qu’il irradie. S’il y avait un saint en musique ce serait Haitink. Il a un art de ne rien dire et de tout faire comprendre, le toute dans le plus grand respect d’autrui. Pas étonnant que sous sa direction on parvienne à de telles alchimies. J’adore cette manière de faire car je suis convaincu que dans la musique on atteint à un degré supérieur de la communication qui permet de s’extraire du temps. On en sort grandi. Et pour la direction d’orchestre, à laquelle je me consacre volontiers, la technique de Lorin Maazel m’a beaucoup inspiré.

Le répertoire du hautbois est hélas limité, vous venez d’enregistrer le Concerto de Richard Strauss, comment concevez-vous cette œuvre ?

Excusez-moi, mais je suis en désaccord avec vous. S’il est vrai que nous autres hautboïstes avons peu de concertos écrits par de grandes plumes, il existe un répertoire abondant d’œuvres de maîtres moins connus sans pour cela être de second rang et qui se révèlent souvent d’excellentes surprises. Et si vous regardez la période baroque, nous avons un certains nombre de chefs-d’œuvre. En plus, les compositeurs écrivent beaucoup aujourd’hui pour le hautbois. Le Concerto de Strauss est un des piliers de notre répertoire, je l’ai beaucoup joué depuis vingt ans et lorsque Daniel Harding m’a invité à le jouer avec l’Orchestre Symphonique de la Radio Suédoise, j’ai proposé à Sony de l’enregistrer. Ensuite nous avons complété le projet avec la Sérénade et la Suite en compagnie de mes collègues de l’Ensemble Paris-Bastille. J’aime ce Concerto, et je partage avec Daniel la volonté de le faire sonner avec une grande clarté. C’est une œuvre toute en transparence, à cent lieues d’une certaine image de lourdeur attribuée, à tort ou raison, à la musique bavaroise.  Comme vous le savez, Strauss l’a écrit à Garmisch, c’est une partition de la maturité, qui porte en elle-même une grande poétique.

Vous allez jouer tout prochainement, avec l’Orchestre Philharmonique de Radio-France sous la direction de Jonathan Stockhammer, Mimo II de Salonen. Parlez-nous de cette œuvre.

C’est une partition qui date de 1992, on l’a peu jouée depuis sa création. Mimo en finnois signifie jeux d’enfants. C’est une œuvre ludique, très rythmée, qui s’évade parfois en des cadences planantes et se termine par une incroyable gamme qui n’en finit pas et fait une pirouette jusqu’à l’extrême limite haute de la tessiture, le si bémol suraigu. C’est une partition de jeunesse, de treize minutes. Cette saison, j’attends également avec impatience de découvrir la quatrième saison du cycle de Nicolas Bacri, cette fois ci se sera l’été avec le Concerto luminoso. Mais il faudra patienter encore un peu, la création en est prévue le 24 mai, avec l’Ensemble Orchestral de Paris et Joseph Swensen.

Quels sont vos prochains grands rendez-vous ?

Ce mois-ci je vais jouer pour la première fois au Musikverein de Vienne avec le Tonkünstler Orchestra sous la direction d’un jeune chef que j’apprécie particulièrement, Andres Orozco-Estrada, et justement le Concerto de Strauss. Je retrouverai en mars, toujours pour le Concerto de Strauss l’Orchestre de Chambre d’Europe – qui est pour moi le meilleur orchestre du monde - avec Vladimir Ashkenazy (à Ferrare, Milan, Francfort, puis à Dijon le 26 mars). Et je vais bientôt remonter sur l’estrade pour diriger l’Orchestre Philharmonique de Bamberg.

Et votre prochain disque ?

Toujours pour Sony, un programme de concertos entre France et Italie dont je veux garder pour l’instant le détail secret.

Propos recueillis par Jean-Charles Hoffelé, le 4 février 2011

Paris, Théâtre du Châtelet, le 11 février
Philharmonique de Radio-France, dir Jonathan Stockhammer
François Leleux, hautbois ; Barbara Hannigan, violoncelle ; Anssi Karttunen,
violoncelle
Œuvres de Ravel et Salonen
Festival Présences / Radio France
11 février 2011 – 20h
Paris – Théâtre du Châtelet (entrée libre)

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Photo : DR
 

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