Journal

Don Carlo à l’Opéra national du Rhin –Noirceur shakespearienne – Compte-rendu

Pour sa dernière production de la saison, l’Opéra national du Rhin a choisi de représenter Don Carlo dans sa version italienne en quatre actes (1884). Robert Carsen a choisi de pénétrer au plus profond de la noirceur humaine et la présence shakespearienne d’un crâne tout au long de l’opéra rappelle le voisinage avec Hamlet. Les sombres décors de Radu Boruzescu suggèrent au fil du drame les différents lieux de l’action (le bureau de Philippe II, la scène de l’autodafé, le jardin de Saint-Just) avec une austérité digne des tableaux de Zurbarán. Homme de théâtre, Carsen sait jouer des situations par un placement judicieux des acteurs, des mouvements de foule étudiés, mais l’ensemble reste très classique, si ce n’est un final revisité et très discutable : Posa devient un traître simulant sa mort et serrant ensuite la main de l’Inquisiteur, tandis que Don Carlo est assassiné au pistolet comme d’ailleurs le roi au moment de l'apparition du spectre de Charles Quint.
 

Elsa van den Heever (Elisabeth) & Elena (Eboli) © Klara Beck - Opéra national du Rhin

D’un plateau vocal inégal, il faut retenir la prestation réussie d’Elza van den Heever en Elisabeth : medium généreux, aigus puissants et bien projetés qui donnent du corps au personnage de femme aux sentiments contrariés. Le Posa de Tassis Christoyannis préfère la subtilité aux éclats, et l’intériorité aux débordements avec une sûreté de goût, une diction toujours claire et un legato parfait. On aurait souhaité plus d’investissement dans le grand air de l’acte IV où la fragilité l’emporte sur l’intensité de la déploration, bien que l’homogénéité des registres et la qualité du phrasé retiennent toujours l’attention. Le Don Carlo d’Andrea Carè ne manque ni d’enthousiasme, ni d’engagement et la projection de son chant éclate sans toujours un contrôle suffisant. Stephen Milling se montre parfois en délicatesse avec la langue de la Péninsule ; il incarne un Philippe II un peu tendu au début, mais son chant s’ouvre progressivement et donne sens à son rôle. Le Grand Inquisiteur d’Ante Jerkunica, voix aux graves profonds, souffre d’absence d’aigus : il s’impose toutefois par sa tenue théâtrale et son autorité. Quant à la Princesse Eboli d’Elena Zhidkova, par sa jeunesse et son élégance, elle tranche avec l’image d’une courtisane intrigante et sait faire preuve de ductilité et de bravoure (« Ô don fatal »). Seconds rôles de qualité avec l’impressionnant Moine de Patrick Bolleire tant par la stature physique que par la carrure vocale, l’onctuosité de Rocío Pérez en Prince Thibault et la Voix céleste de Francesca Sorteni.
 

© Klara Beck - Opéra national du Rhin
 
Daniele Callegari n’hésite pas à fouetter l’orchestre, parfois sans ménagement. Après un moment d’adaptation les cuivres rentrent dans le rang et les musiciens participent à cette vision tendue et dramatique qui ne manque pas de panache. Les Chœurs, bien préparés par Sandrine Abello, apportent un supplément d’âme à une conception qui laisse peu de place à l’espoir en la nature humaine. Accueil quelque peu réservé d’un public plus séduit par la dimension vocale des principaux interprètes et la vitalité de la direction que par le caractère univoque de la scénographie.
 
Michel Le Naour

logo signature article

Verdi : Don Carlo - Strasbourg, Opéra national du Rhin, 17 juin ; prochaines représentations 21, 23, 25 et 28 juin, puis (à Mulhouse –La Filature) les 8 et 10 juillet / www.operanationaldurhin.eu/opera-2015-2016--don-carlo.html
           
           
Photo © Klara Beck – Opéra national du Rhin

Partager par emailImprimer

Derniers articles