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Dialogues des Carmélites à l’Opéra National de Bordeaux – Manque de nuances – Compte-rendu

 
Relire la pièce de Bernanos à l’aune de nos sociétés contemporaines et de l’Histoire à la manière d’un Dimitri Tcherniakov ou d’une Emma Dante, tenter l’épure pour mettre en lumière l’intemporalité du sujet comme l’avait fait Marthe Keller pour sa première mise en scène lyrique et tout récemment Olivier Py, ou faire le choix d’une tradition respectueuse mais un peu courte (Francesca Zambello, Mireille Delunsch), voici en résumé les propositions régulièrement faites au public qui assistent aux Dialogues des Carmélites. S’attaquer à cette œuvre extrêmement codifiée de par son thème, son décor et les rituels qui y sont présentés, jusqu’à l’échafaud final forcément rattaché à une époque précise, n’est sans doute pas chose aisée, c’est pourquoi les lectures littérales abondent et rassurent une partie des spectateurs.
 

© Eric Bouloumié

Pour son passage à la mise en scène en 2013 (et déjà à Bordeaux, puis à Nantes et Angers) la soprano casse-cou Mireille Delunsch a choisi la simplicité : scénographie minimale, dont on ne retient en sortant que cet affreux mur de briques, symbole de la cour du carmel de Compiègne, classiques costumes XVIIIème (signés Rudy Sabounghi, également auteur des décors), et rangées de cierges diffusant une lumière blafarde, s’accordent sans accroc à une lecture scénique soignée mais sans surprise, qui manque de chair et d’émotion.
 

© Eric Bouloumié

Est-elle responsable de la sécheresse qui parcourt ce spectacle et du fait que sa présence au plateau dans le rôle de Mme De Croissy l’a dépassée, ou est-ce la rude direction d’Emmanuel Villlaume qui en est à l’origine ? Les deux sans doute, car Mireille Delunsch n’est pas le contralto attendu pour incarner la monumentale Prieure. Même si quelques intentions sont bonnes, il faudrait une voix large et caverneuse aux accents puissants et aux prophéties déchirantes, notamment au moment de la mort ( sommet de la partition avec l’exécution finale des sœurs, où Sylvie Brunet reste l’une des titulaires ultimes ). Ecrasées par un orchestre compact et brutalement dirigé, la plupart des interprètes – à l’exception d’Anne-Catherine Gillet et de Marie-Andrée Bouchard-Lesieur - ont d’ailleurs du mal à se faire entendre, faute de nuances, de chaleur et de respiration du côté de la fosse.
 

© Eric Bouloumié

Anne-Catherine Gillet ne ménage ni ses forces ni son instrument pour parvenir à incarner cette Blanche douloureuse et volcanique qui lui tient à cœur, défendue en 2013 à Nantes, et que l’on aimerait réentendre dans d’autres conditions, pour goûter à toute sa palette expressive. Inattendue en Lidoine, Patrizia Ciofi se donne également avec force, intensité et conviction pour rester audible en toute circonstance, attentive au texte et injectant, quand le chef l’y autorise, quelques douces inflexions maternelles, à des propos qui se doivent d’être rassurants. L’ample voix prenante et robuste de Marie-Andrée Bouchard-Lesieur permet à cette jeune et prometteuse artiste d’occuper avantageusement le terrain en Mère Marie, Lila Dufy prêtant son timbre étrange à l’émission incertaine à la juvénile Sœur Constance. Quant aux prestations de Frédéric Caton et de Thomas Bettinger, rugueux père et fils de La Force, elles sont, une fois n’est pas coutume, impeccables et nettement supérieures à celles des comprimari.
 
François Lesueur
 

Poulenc : Dialogues des Carmélites – Bordeaux, Grand-Théâtre, 2 juin ; prochaines représentations 5, 7, 9 & 11 juin 2023 // www.opera-bordeaux.com/opera-dialogues-des-carmelites-poulenc-28662

Photo © Eric Bouloumié

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