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Dialogues des Carmélites à l’Opéra de Lyon - A la trappe - Compte-rendu

Un préambule : on n’a guère entrevu le rapport du texte de Bernanos, lu à la demande de Christophe Honoré avant le spectacle par une choriste anglaise au français délicieux, avec l’opéra de Poulenc.

L’auteur du Journal d’un curé de campagne y stigmatise l’abandon dans lequel serait – déjà en son temps – la Jeunesse de France, délaissée par ses aînés, exclue de la société. Mais l’on répond à ce pré-écho d’une rengaine fort entonnée depuis deux ans – on laisserait les jeunes dans la misère et grevés de nos dettes – que du moins cette jeunesse est préservée, par la construction européenne volonté de ces aînés tant décriés, des guerres sur le sol national et dans les colonies qui l’ont dévorée durant le XXe siècle ; héritage non négligeable. Et l’on insiste : rien dans Dialogues des Carmélites n’invite à ce type de commentaires exogènes qui n’étaient donc qu’une prise de parole aussi engagée que déplacée, typique d’un certain théâtre bobo. Passons. Car le spectacle de Christophe Honoré est un modèle. Tout en direction d’acteur, débarrassant l’œuvre du cadre religieux qui trop souvent l’a contraint dans sa forme et réduit dans son propos, il présente une communauté dont seule la règle est visible, allant droit à l’essence du sujet de Bernanos et en cela plus loin que la musique de Poulenc qui hésite assez souvent entre le décor – la manière dont sont recomposés les chants religieux jusqu’à la stylisation – et la vérité psychologique des personnages ou la violence toujours sous-jacente du propos comme de la non-action.

D’ailleurs Honoré voit l’œuvre depuis Bernanos, fouillant les caractères jusqu’à les faire surgir dans toute leur cruauté, leur lâcheté ou leur courage sacrificiel. On admire la manière avec laquelle par deux gestes, une attitude, une inflexion il campe tout à la fois la roideur mystique et l’appétit de pouvoir de Mère Marie de l’Incarnation, formidablement chantée et dite par Anaïk Morel, actrice clouante qui joue la carte de l’économie.

On ne se souvient pas d’avoir vu évoluer si finement le personnage de Blanche, qui n’a plus de secret pour une Hélène Guilmette en voix somptueuse, fine actrice elle aussi. Et le choix de faire mourir Madame de Croissy, non dans son fauteuil, mais à terre, comme un animal, et devant une congrégation qui la laisse agoniser plutôt que d’y toucher, montre avant la peur de la mort l’indifférence de ceux qui continuent à vivre. Dans ce contexte les fameux mots de Mère Marie « C’est une chose insensée…On ne devrait pas permettre… » claquaient littéralement comme des balles. Evidemment Sylvie Brunet vous broyait dans votre fauteuil de son agonie et pour le style vocal rappelait que Poulenc avait conçu ses Carmélites autant pour l’Italie que pour la France.

Parfaite Madame Lidoine selon Sophie Marin-Degor. Fraîche comme une source, Sabine Devieilhe faisait sa Sœur Constance presque trop naïve, tutoyant crânement la tessiture impossible où Poulenc la tient, puis s’en fatiguant au cours de la soirée. Qu’est-il arrivé à Sébastien Guèze ? Toujours aussi beau mec, doté d’une présence magnétique, il hurle son Chevalier de la Force, le dégoise littéralement, une épouvante d’autant que Poulenc voulait y entendre un ténor mozartien. Et son père, Laurent Alvaro, était ce soir -là fort fâché avec la justesse. Mais l’Aumônier parfait, si bien chantant, si attentionné, de Thierry Félix, le Geôlier de Nabil Suliman, impeccable dans la lecture expéditive de la sentence, et les quelques mots plein de caractère du Premier Commissaire de Rémy Mathieu, un ténor à suivre, redoraient le maigre blason des hommes dans cet opéra de femmes. Pour les deux premiers actes, du parterre, on souffrait d’entendre un orchestre rêche, comme désolidarisé de la scène, mais une fois monté au premier balcon après l’entracte, on comprenait mieux le tranchant, l’abrupt de la direction de Kazushi Ono qui, de la fosse sculptait littéralement les phrases de ses chanteurs.

Pourtant, aussi remarquablement distribuées et dirigées que furent ces Carmélites lyonnaises, c’est d’abord le spectacle de Christophe Honoré qui l’emporte, lisant et ne relisant pas - comme aurait pu le faire croire la transposition à nos jours acceptant les incohérences historiques que cela suppose et mettant le carmel devant une statue de la république qui lui tourne le dos - l’œil toujours aux aguets, et montrant qu’il a tout compris d’une pièce décidément complexe.

Un seul exemple : au premier acte, lorsque le Marquis de la Force, dont le lever entouré d’une foule fait penser à celui du Roi, en tous cas signe l’ancien régime – s’exalte en rappelant les circonstances de la mort de la mère de Blanche, le metteur en scène traite ce monologue comme une crise de nerf qui sera calmée par une injection de tranquillisant. Ce désordre émotif du père, Blanche en est durant toute la soirée l’héritière, s’en libérant seulement au moment de rejoindre le martyr de ses sœurs en Jésus-Christ, qui passent littéralement à la trappe, justice de l’effacement définitif faisant froid dans le dos. Cette pertinence qui va au-delà des apparences est d’un artiste.

Jean-Charles Hoffelé

Poulenc : Dialogues des Carmélites - Lyon, Opéra, 16 octobre – prochaines représentations, 22, 24, 26 octobre 2013. www.opera-lyon.com

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Photo : Jean-Louis Fernandez
 

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