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Dialogues des Carmélites au Théâtre des Champs-Elysées – Retour à la perfection – Compte-rendu

 Une telle évidence de perfection est si rare dans le hasardeux monde lyrique, où tant de questions s’entrechoquent à ce jour, qu’elle s’inscrit dans les annales comme un modèle, et le public autant que la presse ne s’y sont pas trompés qui, en décembre 2013, firent un triomphe à la vision souveraine qu’Olivier Py donna de l’opéra de Poulenc, issu de la pièce de Bernanos. Un triomphe qui se répète à ce jour, où après une reprise à la Monnaie, la production retrouve ses bases au TCE, avec quelques changements de distribution qui ne font qu’exalter son pouvoir émotionnel.
 
Contesté, contestable, le talent d’Olivier Py ne souffre ici aucune réserve, car en fidèle transmetteur d’un texte qui met certainement à vif sa personnalité brûlée, il descend au plus près de cette «  marche à l’intérieur de soi » et élague tout ce qui pourrait en entraver le cheminement  vers la gloire d’une liberté totalement assumée dans le renoncement. Une liberté suprême qui gomme les affrontements, les terreurs et les personnalités de femmes dont le Carmel n’a pas éteint les personnalités.
© Vincent Pontet
 
En fait Py a fait rentrer dans l’ombre tout ce qui pourrait ressortir de l’opéra traditionnel avec chœurs, dont il esquive d’ailleurs la présence et atténue quelques détails que le texte de Bernanos dit si bien –  les fleurs que Constance et Blanche apportent sur la tombe de la prieure, la chute et la brisure du petit roi, notamment  –pour ne laisser qu’un cadre impitoyablement nu et parlant dans ses lignes de force. Quelques idées prodigieuses marqueront à jamais ceux qui auront vécu ces moments suffocants : la projection verticale du lit de la prieure agonisante, exposée comme un Christ en croix, la montée vers un Golgotha final devenu une voûte céleste, du fait du sacrifice messianique, vision mystique qui n’a rien d’angélique ni de sulpicien, heureusement, mais n’est que dépouillement suprême.
La fusion intime d’un texte qui n’est nullement fait pour être chanté, et d’une ligne mélodique qui en exprime toutes les inflexions et le sens, grâce à une sorte de naturel mariant sans cassure style récitatif et style lyrique, est on le sait le coup de génie de Poulenc qui mit trois années à perfectionner son chef-d’œuvre. Et implique un plateau d’une grande unité où les tempéraments puissent s’affronter sans que jamais le moindre écart vocal puisse sonner  « opéra ».
 
C’est là l’une des grandes réussites de la présente distribution, qui réunit la fine fleur du chant français et même suédois – en Madame de Croissy, une Anne Sofie von Otter impressionnante dans sa terrible mort blasphématoire, sans faire oublier cependant l’incendiaire Rosalind Plowright –, Véronique Gens (1), prieure forte et douce, Sophie Koch, Mère Marie rêche et brûlée, Sabine Devieilhe, Constance ineffable de fraîcheur et de pureté, avec sa voix fine au parfum de fleur, et surtout la torride Patricia Petibon, Blanche dont chaque geste provoque par sa force dramatique et ses arrière-plans de terreur fondamentale.
 
© Vincent Pontet
 
Face à ces prêtresses de la transgression, thème essentiel de la quête de Bernanos, les hommes ne déméritent pas, avec le touchant François Piolino, prêtre éploré, le douloureux Nicolas Cavallier en Marquis de la Force, et surtout, rayonnant d’humanité et d’une voix de plus en plus dorée et expressive, à l’admirable diction, le bouleversant Chevalier de la Force de Stanislas de Barbeyrac. Mais ces quelques mâles sont bien évidemment la part de faiblesse humaine, en regard de walkyries transfigurées par leur foi et leur chemin de perfection.
  
Et comme toute perfection, elle a ses froideurs. On en dénote une certaine dose ici, due à la direction certes impressionnante de vouloir, mais hâchée, dure, de Jérémie Rhorer, qui martèle l’œuvre – dont on n’a pas à nous surligner l’impitoyable progression – comme si tout n’y était que couperet final, alors que Poulenc et Bernanos s’en chargent bien. On est même surpris de découvrir dans l’Orchestre National de Frnce des stridences inhabituelles, et qui sont certainement voulues. De ce fait, se trouvent amenuisés de purs instants de tendresse, voire de ce lyrisme voluptueux dont Poulenc ne pouvait se défaire, notamment pour la petite sœur Constance, dont il se disait amoureux.  Cette conduite par trop impérieuse est le bémol de ce chemin de croix déchirant, dont on sort terrassé.

 
Jacqueline Thuilleux

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(1) Lire l’interview de Véronique Gens : www.concertclassic.com/article/une-interview-de-veronique-gens-quand-je-chante-les-dialogues-je-pense-tous-ces-gens-guides
 
 
Poulenc : Dialogues des Carmélites – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le 7 février ; prochaines représentations les 9, 11, 14 & 16 février 2018 // www.theatrechampselysees.fr/saison/opera/opera-mis-en-scene/dialogues-des-carmelites
 
 
Photo © Vincent Pontet

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