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Der ferne Klang de Schreker à l'Opéra du Rhin - Le son parfait - Compte-rendu
Un siècle après sa création à Francfort en août 1912, Le Son lointain (Der ferne Klang) de Franz Schreker (1878-1934) connaît enfin ses premières représentations en France, à l'initiative de l'Opéra national du Rhin. Cet opéra, premier grand succès d'un compositeur âgé alors de vingt-quatre ans, fut accueilli à sa création comme une œuvre majeure, une véritable révolution musicale même. Arnold Schoenberg, dont Schreker devait créer peu après la version définitive des Gurrelieder, salua le succès d'une œuvre dont l'audition l'avait fortement impressionné.
C'est bien l’œuvre d'un jeune auteur. Une œuvre largement autobiographique, qui semble faire du héros, Fritz, compositeur à la recherche du « son lointain » qui lui donnerait la clef de son art, un double de Schreker lui-même. On a d'ailleurs souvent accolé à l'opéra l'étiquette de Künstleroper (« opéra d'artiste »), qui convient tout aussi bien à décrire les autres ouvrages lyriques de l'auteur comme par exemple Les Stigmatisés.
Le Son lointain repose donc sur une mise en abyme : le héros de l'opéra est un compositeur d'opéras. Pourchassant l'idéal, le « son lointain », Fritz délaisse Grete, sa fiancée, et l'abandonne à une vie grise et misérable. Les deux amants ne se retrouveront finalement qu'après l'échec artistique du musicien et la déchéance de la jeune femme : bref moment de plénitude vite refermé par la mort du compositeur.
Le metteur en scène Stéphane Braunschweig, magnifiquement aidé par les éclairages de Marion Hewlett, ouvre progressivement les espaces. La première scène, entre les deux amants, est jouée comme un prologue, devant le rideau de scène. Fritz parti, le rideau se lève sur la grisaille d'une ville sans soleil, un simple mur de pierre sombre que ne vient colorer que l'enseigne d'une maison d'opéra. À la sixième scène, Grete s'enfuit dans la forêt. Une forêt toute symbolique, moins peuplée d'arbres que des peurs et réminiscences du personnage : Stéphane Braunschweig est ici fidèle à l'imprégnation freudienne qui était celle de la Vienne de Schreker. La végétation y prend la forme d'un jeu de quilles, souvenir de cette partie au cours de laquelle Grete fut offerte par son père à un aubergiste auprès de qui il s'était endetté.
L'espace s'ouvre mais, comme dans Le Château de Barbe-Bleue de Bartok, chaque fois le paysage découvert porte sa part de malaise, qui s'épanouit en une végétation cramoisie. Les êtres et les choses y ont toujours quelque chose de répugnant (ces masques de monstres marins que portent les hommes, dans le bordel à ciel ouvert de l'acte II).
Musicalement, l’œuvre, marquée évidemment par Wagner (il y a du Siegfried dans les « murmures de la forêt » du premier acte, du Tannhäuser dans le concours de chant du second), pourrait aussi bien être l'opéra que Mahler eût aimé composer. L'atmosphère de conte (la scène de la forêt, la maquerelle aux airs de sorcière) rappelle aisément l'univers du Klagende Lied. Cependant, c'est davantage vers les dernières œuvres de Mahler, qui venait de disparaître quand Le Son lointain a été créé, que la musique nous emmène : le Chant de la terre, la Neuvième Symphonie ne porteraient-ils pas aussi une quête du son parfait ? Constamment inventive, pliée au déroulement des événements et plus encore à l'état d'âme des personnages, la musique développe une complexité rythmique effarante, encore doublée sur scène par un ensemble tzigane et un chœur divisé en douze voix solistes, en coulisse par un autre orchestre (qui donnera au troisième un écho de l'opéra de Fritz). La polyphonie ainsi créée est la source d'un véritable sortilège sonore – presque une alchimie, celle que recherche Fritz dans le « son lontain ». Ce dernier, on l'entendra au troisième acte, subtile combinaison de harpe, célesta et piano.
Marko Letonja, le chef slovène de l'Orchestre philharmonique de Strasbourg, porte cette œuvre avec une évidente ferveur : aucune faiblesse dans la direction, ni dans les moments de paroxysme, ni lorsque la musique, devenue pointilliste, s'évanouit presque (fin des premier et troisième actes). La bonne entente qui semble s'être nouée entre le chef et le metteur en scène semble profiter aux chanteurs. Incarnation idéale de Grete, la jeune soprano finlandaise Helena Juntunen impressionne. Will Hartmann tient le rôle de Fritz avec suffisamment de présence pour faire oublier des capacités vocales légèrement amoindries par un refroidissement. La douzaine de seconds rôles qui les accompagne forme une distribution parfaitement homogène, au service d'un spectacle particulièrement abouti. Grâce à l'Opéra national du Rhin, l'heure de la résurrection semble enfin venue pour Schreker.
Jean-Guillaume Lebrun
Franz Schreker : Der ferne Klang – Strasbourg, Opéra, vendredi 19 octobre. Prochaines représentations à Strasbourg les 27 et 30 octobre ; à La Filature de Mulhouse le 9 novembre et le 11 novembre 2012.
www.operanationaldurhin.eu
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Photo : Alain Kaiser
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