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Daniel Isoir et La Petite Symphonie à l'Oratoire du Louvre – Vivifiant – Compte-rendu

L'univers concertant de Mozart à la lumière de son épure chambriste ; l'univers chambriste de Mozart telle la quintessence de son approche du concerto pour clavier – à la jonction des deux Daniel Isoir (photo) et La Petite Symphonie, qui cette année fête ses dix ans. Après avoir gravé en 2012 (pour AgOgique) et « à un par partie », les Concertos n° 13, 14 et 27 de Mozart (1), Daniel Isoir et ses musiciens se devaient d'explorer l'autre plateau de la balance, répertoire longuement mûri au concert avant de le confier au disque : les monumentaux Quatuors avec piano, soit la dimension concertante d'emblée concentrée par le compositeur lui-même en un équilibre chambriste idéal. C'est pour le label Muso (2) que ces deux œuvres ont été gravées, dans une optique volontairement réflexive : « … loin de la clarté d'une salle de concert, dans la pénombre et le silence d'un manoir normand, point n'est besoin de projeter le son pour un auditoire nombreux. Le musicien a la possibilité de murmurer le message universel de Mozart à l'oreille de chaque auditeur, en toute intimité… » – Daniel Isoir dans son introduction au livret du CD.
 
Éternelle question : allait-on retrouver au concert, dans des conditions acoustiques si différentes et pas vraiment optimales à l'Oratoire du Louvre, la généreuse alchimie de l'enregistrement, à même de transmettre aussi bien la plus infime nuance que l'incontestable et souvent sidérante grandeur des œuvres ? Le fortepiano d'après Johann Andreas Stein, signé Ryo Yoshida et plus encore Daniel Isoir, qui lui a donné son âme et ses qualités de jeu à travers une mécanique légérissime et de haute précision, était le même à l'Oratoire que dans le manoir normand : sensible et d'une piquante délicatesse de toucher, mais tout aussi capable d'envolées dynamiques pleinement à la hauteur d'une partie soliste grand format et d'une constante difficulté, à condition, bien entendu, d'être aussi près que possible de l'instrument, nullement pensé pour emplir un vaste espace à la réverbération, en l'occurrence, quelque peu étouffée. Il n'empêche, depuis les premiers rangs, l'enchantement était au rendez-vous, par la grâce d'un équilibre fait de cohérence et de franchise de ton décuplant littéralement la projection du quatuor tout entier.
 
Si ces deux œuvres de Mozart sont rares au concert, sans doute le sont-elles plus encore sur instruments d'époque. Inutile, au passage, de vouloir hiérarchiser ou opposer « modernes » et « anciens », Rubinstein (et les Guarneri), Schnabel (et les Pro Arte) ou encore Arrau (et les Budapest) faisant valoir une articulation divinement élaborée qui vaut assurément celle des meilleurs pianofortistes – mais autrement, par la force des choses ou, tout simplement, de la matière sonore. Ce qui frappe sur instruments d'époque, ce sont les perspectives affinées, irisées et d'une subtile vitalité, découlant d'un dialogue frais et corsé mettant en exergue, différemment, maintes facettes sans trahir l'imposante grandeur et le souffle de ces partitions d'envergure. Dialogue dont l'instrument soliste bénéficie infiniment, toujours en juste proportion dès lors qu'il est porté, magnifié et comme augmenté par les cordes, l'impact de l'ensemble, en bonne logique musicale, dépassant de beaucoup la simple somme des parties. Au violon : Stéphanie Paulet, déjà admirée au concert comme au disque dans un programme autour de Biber illuminé par le grand positif Silbermann de Strasbourg (3), pilier de la Petite Symphonie – dont elle est assurément la voix prééminente bien que nullement dominante. Lui répondaient, pour une présence intensément intégrée, Diane Chmela à l'alto et Mathurin Matharel au violoncelle – bien plus, dans ces Quatuors de Mozart, que simple soutien harmonique de la formation et véritablement propulsé au niveau musical, également mélodique, de ses partenaires.
 
Entre les deux Quatuors se glissa le Divertimento Hob.XIV:12 de Josef Haydn, qui ne figure pas sur le CD – et que l'on connaît notamment à l'orgue dans une version toute d'élégance et de panache (4). Œuvre certes galante, où l'on vit Diane Chmela passer avec aisance de l'alto au violon, mais aussi beaucoup mieux que cela : relativement linéaire mais délicieusement inventive, lyrique et d'une ampleur, dans la petite forme, faisant de ce triptyque une digne et saine récréation entre les monuments mozartiens, sémillant interlude pour reprendre son souffle sans toutefois « décrocher ». Le choc n'en fut que plus bouleversant lorsque les musiciens firent entendre le KV 493 qui, comme son pendant KV 478, se hisse à de saisissants sommets émotionnels, frôlant maintes fois l'abîme – la dramaturgie harmonique y est d'une éloquence riche en bouleversements et coups de théâtre. Pour qui n'aurait le bonheur de croiser Daniel Isoir et La Petite Symphonie dans ce répertoire – leurs prochains concerts aux festivals de Melle, des 1001 Notes en Limousin ou des Musicales au Fival (5) les verront aborder des domaines fort différents – le disque restitue avec ferveur le drame mozartien dans sa quête la plus vivifiante et collégialement vécue.
 
 
Michel Roubinet

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Paris, Oratoire du Louvre, 13 avril 2016
 
 
(1) Mozart – Concertos pour piano n° 13, 14 et 27
www.agogique.com/catalogue/Concertos_pour_pianoforte/
 
(2) Mozart – Quatuors KV 478 et KV 493 avec piano (CD Muso mu-010 paru début avril)
www.muso.mu/#!__muso-en/catalogue/vstc8=mozart-|-la-petite-symphonie
 
(3www.concertclassic.com/article/stephanie-paulet-et-elisabeth-geiger-leglise-de-sainte-madeleine-de-strasbourg-singuliere
 
(4) Joseph Haydn – Concertini Hob. XIV:11, 12, 13 & Hob. XVIII:F2, par Olivier Vernet et l'Ensemble …in Ore mel…
www.olivier-vernet.com/fr/discography/joseph-haydn-concertini-hob-xiv/
 
(5www.lapetitesymphonie.eu/agenda.php
 
 
 
 
Sites Internet :
 
La Petite Symphonie
http://www.lapetitesymphonie.eu/lps.php
 
 
Photo Daniel Isoir © La Petite Symphonie

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