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Cosi fan tutte selon M. Haneke à la Monnaie de Bruxelles - La valse des cœurs - Compte-rendu

Après avoir relu de façon si radicale Don Giovanni et rendu vaines les lectures de ses contemporains, Michael Haneke a choisi de retrouver Mozart pour sa seconde mise en scène lyrique. Montré à Madrid avant Bruxelles, son Cosi fan tutte, en raison d’un sujet plus réaliste, ne peut à aucun moment rivaliser en tension avec ce Don Giovanni fatal et nerveux jusqu'au paroxysme, conçu à partir d'un matériau autrement plus noir et puissant. Le public découvre de ce fait un metteur en scène plus proche, plus léger, plus humain aussi, pour qui les jeux de l'amour sont source de divertissement et non de douleurs. Le message est clair : ne soyons pas dupes, n'essayons pas de nous faire croire que l'amour est éternel, car chacun de nous, selon des mobiles très différents, peut être trompé et tromper soi-même. Face à la tentation, les serments, même les plus fidèles, peuvent vaciller et chacun peut alors s'oublier dans les bras d'un ou d'une autre. Et puis quoi, la belle affaire, on n'en meurt pas, semble nous dire sereinement Haneke, sans aucun moralisme.

L’« Ecole des amants » à laquelle il s'intéresse lui permet de traiter avec tact un sujet scabreux mais somme toute banal. Ici Don Alfonso et Despina forment un couple qui bat de l'aile et lutte à peine pour le cacher aux yeux des invités réunis dans leur villa pour un bal masqué dont le thème est Watteau. Alfonso blasé, mais confus lorsqu'il voit sa femme lui échapper malgré leur complicité, veut prouver à ses deux jeunes amis, sûrs de leur amour envers leurs maîtresses, que celles-ci, comme toutes les femmes d'ailleurs, ne sont pas si éprises qu'elles le prétendent. Les épreuves peuvent alors commencer : Guglielmo et Ferrando doivent quitter précipitamment leurs promises, celles-ci jurent qu’elles ne pourront s’en remettre et pourtant, Despina les exhorte à penser autrement. Ce petit clown blanc, qui se déguisera plus tard en médecin, puis en notaire (variations autour du bal masqué oblige !), a du nez puisque, elle aussi en pleine déshérence sentimentale, sait mieux que personne que l'amour ne dure pas et qu'il ne faut jamais renoncer aux plaisirs.

L'arrivée de deux étrangers vient en effet bouleverser la donne, Fiordiligi et Dorabella s'indignent, refusent les avances de ces deux hommes qui pourtant sont prêts à mourir pour elles. Haneke n'esquive aucun code, ni aucune convention, prenant un malin plaisir à suivre les didascalies, l'intrigue universelle étant seulement transposée à notre époque, dans un milieu aisé.

Au second acte le metteur en scène décide pourtant de se débarrasser des artifices pour montrer au spectateur qu'il ne faut pas être dupe. Les faits vont s'enchaîner et parler d'eux-mêmes. Haneke n'a plus besoin de faire semblant ou de recourir à des détails réalistes ; la nuit est descendue et avec elle les masques tombent. Les couples vont enfin se faire et se défaire, Dorabella tombant dans les bras de Guglielmo et Fiordiligi ne résistant pas à Ferrando sous le regard satisfait de Despina et Alfonso, qui assistent depuis le départ à cette valse des cœurs. On s’amuse donc à jouer pour terminer la soirée au mariage avec un faux notaire, puis au retour inopiné des deux amants avec force injures et larmes, avant de se pardonner. Cosi fan tutte, et tutti, car dans cette histoire, les hommes ne valent pas mieux que les femmes. Faut-il encore le savoir et être en mesure d'accepter pareille vérité !

Recrutés pour leur jeunesse et leur appétence pour le travail scénique, les interprètes jouent avec autant de précision et de justesse qu'ils chantent. La soprano Anett Fritsch fait preuve d'un beau tempérament dans le rôle de Fiordiligi qui semble ravoir été écrit pour elle, Dorabella étant défendue avec le même aplomb par la mezzo Paola Gardina, qui rappelle physiquement Diane Keaton et Frederica von Stade. Le Ferrando de Juan Francisco Gatell convainc davantage par un jeu éruptif et serré qu’un chant perturbé par quelques nasalités. Très aidé par le soin cinématographique apporté à la moindre scène, Andreas Wolf est le plus naturel des Guglielmo, accordé au remarquable couple Alfonso/Despina, composé avec toute la finesse requise par William Schimell dont la voix grise n'a plus l’éclat d'autrefois, mais dont la composition s’avère admirable et par Kerstin Avemo, soprano étroit mais qui occupe le terrain avec détermination.

Chef permanent de l’Orchestre de la Monnaie, Ludovic Morlot se montre respectueux du dispositif hanekien (tempo retenu, respirations, silences répétés après certaines séquences...) tout en imposant à ses musiciens des couleurs chatoyantes proches de celles d'instruments anciens, un trait ferme et délicat, ainsi qu'une cohérence d'ensemble qui n'est pas sans rappeler l'art subtil et hautement raffiné de Watteau, dont la présence est soulignée par les costumes superbes de Moidele Bickele et la reproduction d’une toile inachevée du maître. Une lecture à méditer.

François Lesueur

Mozart : Cosi fan tutte – Bruxelles, Théâtre de la Monnaie, le 2 juin 2013, prochaines représentations les 5, 7, 11, 15, 18, 21 et 23 juin / www.la monnaie.be

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Photo : Hofmann - La Monnaie
 

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