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Coronis de Sebastián Durón au Théâtre de Caen – Multiples splendeurs – Compte-rendu

Production très attendue, et très courue à en croire une billetterie close six semaines à l’avance pour ses trois représentations, Coronis au Théâtre de Caen remplit toutes ses promesses. Cette zarzuela baroque de Sebastián Durón (1660-1716), en recréation scénique mondiale depuis 1705 (1), ne pouvait rêver meilleure restitution moderne, par les soins de la direction musicale éclairée de Vincent Dumestre, d’un plateau vocal des plus adaptés et d’une mise en scène ébouriffante d’Omar Porras. Autant d’ingrédients conjugués pour une réussite appelée à faire date et à marquer les esprits !
 

Caroline Meng (Neptune) © Philippe Delval
 
Cinq semaines de répétitions, ce que peu de théâtres peuvent offrir, ont été nécessaires pour une réalisation léchée au plus haut point. Le talent reconnu d’Omar Porras fait merveille, avec une accumulation dont il a le secret : pyrotechnie, acrobatie, chorégraphie, perruques, couronnes, maquillages colorés, costumes d’une allégorie renouvelée sous des décors abstraits de grotte et de ciel ténébreux (scénographie d’Amélie Kiritzé-Topor), à travers des mouvements incessants réglés au plus près, et au plus près de l’illustration de la musique – attribut rare chez les metteurs en scène venus du théâtre parlé. Tout à fait l’esprit de l’œuvre, avec un faste et un luxe de détails qui correspondent à sa vocation initiale. Au sein d’un climat d’enchantements, de féerie et de tragédie mêlées, se combinent ainsi allègrement les soubresauts et les transes de la trame, les conflits entre le monstre Triton et la nymphe Coronis, les dieux Apollon et Neptune, mais aussi le barbon Protée et les bouffons (« graciosos ») Ménandre et Sirène, de cette mythologie revisitée par la dramaturgie du grand siècle espagnol. Porras nous comble, marquant avec éclat son retour à l’opéra après dix ans, et sa toute première réalisation sur un texte dans sa langue natale, l’espagnol (Porras, résidant en Suisse où il gère un théâtre à Lausanne, est d’origine colombienne).
 

Isabelle Druet (Triton) & Ana Quintans (Coronis) © Philippe Delval
 
Cette vie, cette expression transcendante, parcourent tout autant le plateau vocal. Ana Quintans (Coronis) et Isabelle Druet (Triton) expriment leur art d’une technique fermement projetée et de nuances finement distillées. À leurs côtés, Emiliano Gonzalez Toro, rare rôle masculin pour Protée dans cette distribution de voix féminines, ne faillit à sa belle réputation, d’un chant délié serti de délicats registres. Marielou Jacquard et Caroline Meng figurent Apollon et Neptune d’une fière assurance, alors que Anthea Pichanick et Victoire Bunel campent d’irrésistibles Ménandre et Sirène, les deux bouffons en contrepoint de cette épopée tragiquement tumultueuse. Il n’est pas jusqu’à Brenda Poupard en Iris d’apothéose finale, et Olivier Fichet, ténor participant aux ensembles à quatre voix, qui ne poussent la juste note. Les uns et les autres fondus dans leurs pétulantes apparitions parmi une demi-douzaine de danseurs, acrobates, comédiens et autres contorsionnistes.
 

© Philippe Delval
 
La vingtaine d’instrumentistes du Poème Harmonique sonne admirablement dans la fosse quelque peu surélevée du théâtre (castagnettes comprises, dont on ne sait pourtant si l’instrumentarium des quarante musiciens d’origine les prévoyait). Vincent Dumestre mène ses troupes avec un allant qui ne joue pas à l’encontre de la rigoureuse précision requise. En ressortent les sautes changeantes d’humeur et de texture, le caractère ineffable, de cette magnifique inspiration musicale, en particulier pour ses intenses passages d’un chromatisme douloureux. Et ce en dépit de l’acoustique de la moderne salle du théâtre caennais, qui dessert parfois certaines subtilités d’émission vocales ou instrumentales. Reste une réhabilitation à tous égards, qui s’imposait pour une œuvre lyrique d’un intérêt primordial. Le public agglutiné jusqu’au dernier strapontin de réserver alors un trépident et mérité triomphe.
 
Il est seulement dommage que cette splendide production d’un ouvrage jusqu’ici totalement méconnu, n’ait pas pu bénéficier d’une captation audio ni vidéo. Espérons peut-être lors de la vaste tournée prévue dans la foulée …
 
Pierre-René Serna

(1) Voir notre présentation de l’œuvre :
www.concertclassic.com/article/coronis-zarzuela-baroque-de-sebastian-duron-renait-caen-sous-la-direction-de-vincent
 
Sebastián Durón : Coronis – Caen- Théâtre, 6 et 7 novembre 2019
 
Tournée : Opéra de Rouen : 31 janvier et 1er février 2020 ; Opéra de Limoges : 11 et 12 février 2020 ; Maison de la culture d’Amiens : 13 mars 2020 ; Opéra de Lille : 22, 24 et 25 mars 2020 ; Opéra-Comique, Paris : 2, 3 et 4 mai 2021 // www.poemeharmonique.fr/agenda/saison/20192020/
 
Photo © Philippe Delval

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