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Concours International Long Thibaud Crespin 2018 (violon) – Dynamique retrouvée – Compte-rendu

L’édition 2018 du Concours Long-Thibaud-Crespin, consacrée au violon et placée sous la direction artistique de Renaud Capuçon, constituait un cap stratégique pour une compétition en petite forme depuis quelques années. A en juger tant par le niveau général des 39 candidats présents sur la ligne départ que par la cohérence du palmarès énoncé au terme de la finale avec orchestre (celui des Pays de la Loire, dirigé par Pascal Rophé), on peut affirmer qu’il a été franchi avec succès. Cette dynamique retrouvée ne pourra que s’amplifier l’an prochain, pour profiter à un Concours 2019 réservé au piano, auquel Bertrand Chamayou, son directeur artistique, travaille activement et dont le jury sera présidé par Martha Argerich.
Renaud Capuçon © Simon Fowler

Renaud Capuçon présidait celui de cette année, avec à ses côtés Alena Baeva, Kolja Blacher, James Ehnes, Martin Engstroem, Liana Gourdjia, Jean-Jacques Kantorow, Akiko Suwanai, Yan Pascal Tortelier, Maxim Vengerov et Quian Zhou, sans oublier Guillaume Sutre qui, avec Marine Saunier (Secrétaire générale du Concours), a parcouru le monde au printemps dernier pour les présélections.
Assister à la totalité des épreuves du Concours 2018 aura permis de mesurer la diversité des personnalités en présence, de découvrir de jeunes violonistes qui, même s’ils ne sont pas parvenus en finale, ont offert de belles promesses d’avenir, et, bien évidemment, de suivre de bout en bout les six candidats finalement inscrits au palmarès.

Diana Tishchenko © Masha Mosconi

1er Grand Prix Jacques Thibaud (1), l’Ukrainienne Diana Tishchenko (photo, 28 ans) est issue de la Hochschule für Musik Hanns Eisler de Berlin et a occupé le poste de Konzertmeister de l’Orchestre des Jeunes Gustav Mahler entre 2011 et 2013. La musicalité de la jeune femme ne fait guère d’étincelles lors des éliminatoires et il faut attendre la demi-finale pour pleinement prendre la mesure d’une artiste très complète, que ce soit dans la Sonate de Bartók, admirablement dominée, la Sonate pour violon et piano de Debussy, aussi poétique que vécue, ou encore la Fantaisie n° 7 de Telemann, naturelle et on ne peut plus « informée » sur le plan stylistique. Ces impressions très positives se confirment au cours d’une éblouissante finale récital. Richesse de la sonorité, tempérament, énergie rythmique : Tishchenko est dans son élément avec l’Allegro brusco de la Sonate n° 1 de Prokofiev, autant que dans Autumn Rhythm de Camille Pépin (la commande du Concours 2018). Sa justesse de style et son sens du dialogue enchantent dans la Sonate n°3 de Beethoven et dans l’Andante un poco mosso du 1er Trio de Schubert (comme tous les autres finalistes, elle y a pour partenaires les excellents Guillaume Bellom et Yan Levionnois), tandis Le Bœuf sur le toit de Milhaud est servi par une approche engagée et vivante.
On reste plus réservé sur son Concerto de Mendelssohn : l’Orchestre National des Pays de la Loire et Pascal Rophé ne lui offrent pas il est vrai un accompagnement aussi réussi que la veille pour Dmitry Smirnov, mais que de fine poésie trouve-t-on toutefois sous un archet qui, avant l’Opus 64, a su merveilleusement chanter l’Adagio du Concerto n°1 en ut majeur de Haydn (pièce imposée de la finale concerto). Un palmarès résulte, ne l’oublions pas, de la prise en compte de l’intégralité du parcours des candidats et pas seulement de l’épreuve concertante. Précisons enfin qu’au 1er Grand Prix de Diana Tishchenko s’ajoutent le prêt d’un Guadagnini de 1754 par la Anima Music Foundation, le Prix Dak App et le Prix Warner Classics (enregistrement d’un programme de récital).

Mayumi Kanagawa © Masha Mosconi
 
Désormais dénommé « Prix Christian Ferras », le 2ème Grand Prix revient à Mayumi Kanagawa (24 ans, Etats-Unis), qui a pour sa part étudié à la Colburn School Academy et à la Hochschule für Musik Hanns Eisler de Berlin. Forte d’une expérience déjà solide de la scène, la jeune artiste frappe dès les éliminatoires par sa sonorité très poétique, comme nimbée d’un halo lumière (que de bonheur dans l’Allegro moderato du Concerto KV 207 ! ), sa concentration (admirable conduite de la Fugue de la Sonate BWV 1001 de Bach), son sens des caractères (Danses des ombres et Furies de la 2ème Sonate d’Ysaÿe). En demi-finale, la Fantaisie n° 9 de Telemann, allante et narrative, convainc immédiatement, avant un 24ème Caprice de Paganini aussi virtuose que poète et une Sonate de Bartók racée. Intense et rêveuse, la Sonate de Debussy « embarque » l’auditeur, tout comme la Fantaisie op. 131 de Schumann dont Kanagawa domine le propos contrasté avec une grande intelligence dans les transitions.
Cette aptitude à faire corps avec les contrastes de la partition s’illustre en finale dans l’Allegro brusco de la 1ère Sonate de Prokofiev, avant une Sonate n° 2 pour violon et piano de Beethoven dont la simplicité et l’esprit enchantent autant que l’effusive poésie à laquelle la violoniste parvient avec G. Bellom et Y. Levionnois dans l’Andante de l’Opus 99 de Schubert. Première dans l’ordre de passage de la finale, Mayumi Kanagawa aura donc été la créatrice d’Autumn Rhythm de C. Pépin, y mêlant tonus rythmique et lyrisme généreux. Conclusion éblouissante avec un Bœuf sur toit dont le chic, l’esprit, le déhanché et la saveur harmonique font mouche !
Au 2ème Grand Prix est venu s’ajouter pour la jeune violoniste américaine le « Prix du Concerto » : choix qui ne souffre pas l’ombre d’une discussion. Après un Adagio de Haydn d’un pureté toute apollinienne, elle a en effet signé un Concerto de Brahms d’une rare plénitude (et osé s’exposer en choisissant la longue et redoutable cadence de Leopold Auer). Point d’effet de mèche ou d’archet, certes, mais quelle maîtrise et quelle radieuse densité poétique dans cet Opus 77 !
 
Dmitry Smirnov © Masha Mosconi

3ème Grand Prix de la Ville de Bordeaux à Dmitry Smirnov (24 ans). On reproche parfois aux concours de faire obstacle à l’émergence personnalités atypiques ; le Long-Thibaud 2018 aura prouvé tout le contraire en laissant sa place à ce musicien étonnant, au jeu hybride pourrait-on dire, entre violon moderne et tentation baroque ; bref, en devenir. Le Russe est passé par Haute Ecole de Musique de Lausanne, la Scuola di Musica di Fiesole et l’Académie de Musique de Bâle. Profondément inventif, plein de curiosité (aucun candidat n’aura autant présent dans la salle pour entendre ses collègues), il a su dès les éliminatoires hameçonner l’attention des auditeurs, que ce soit dans l’Allegro du Concerto KV 207 de Mozart, très libre (et avec une cadence de son cru), la Danse des ombres, puissamment évocatrice, ou encore la Fugue de la Sonate BWV 1005, pleine d’étonnement. Smirnov est un interprète au sens plein du terme : il ose et s’approprie les partitions, comme le démontrent, en demi-finale, la Fantaisie de Schumann, la Sonate de Debussy ou le 1er Caprice de Paganini. Sachons gré au jury d’être passé sur bien des imperfections pour qu’il soit présent en finale.
Après l’Allegro brusco de la Sonate op. 80 de Prokofiev, fermement empoigné, Smirnov se lance sans la 3ème Sonate pour violon et piano de Beethoven avec un tempo allant, « con spirito » à souhait, et saisit l’esprit d’une partition à la charnière de deux siècles. Autumn Rhythm est emporté dans un souffle onirique, qui vaudra à l’artiste – décision justifiée – le Prix de la Sacem (pour la meilleure interprétation de l’œuvre de C. Pépin), tandis que l’Andante un poco mosso de Schubert montre une profonde complicité entre les trois instrumentistes. Cerise sur le gâteau avec Milhaud : ce Bœuf sur le toit a sans doute un peu d’accent slave – rien toutefois du copieux mauvais goût qu’y montre Daniel Kogan – mais impossible de résister un seul instant à un propos aussi débordant d’idées, et à cette cadence jouissive et endiablée !
Tout aussi séduisant, l’Adagio du Concerto en ut de Haydn fait entendre un phrasé très personnel (et une cadence, de la main du violoniste, avec accompagnement du violoncelle solo). Quelques scories dans le Concerto de Mendelssohn, certes ; reste que la luminosité, la musicalité, la vitalité, l’entente avec l’orchestre qui distinguent cette interprétation en font l’un des temps forts de la finale. Au 3ème Grand Prix et au Prix Sacem, s’ajoute pour Smirnov le Prix Etienne Vatelot, qui consiste en un violon réalisé par Patrick Robin (et offert par Meridiam). Il remplacera avantageusement (!) l’instrument joué par le Russe ...

A chaque lauréat son parcours : si l’on en juge par de merveilleuses promesses de départ, celui de Louisa Staples (18 ans, Royaume Uni, une élève d’Antje Weithaas à Hochschule für Musik Hanns Eisler de Berlin ), 4ème Prix, déçoit. Que de merveilles a-t-on en effet entendu lors des éliminatoires. Cette Sicilienne et cette Fugue de la Sonate BWV 1001 de Bach, d’une pureté et d’une poésie admirables, cette Danse des ombres et ces Furies d’Ysaÿe, si suggestives, ce Mozart vivant, simple et naturel ont été suivis par une demi-finale non moins accomplie : Caprice n° 2 de Paganini – l’un des plus « inhumains » techniquement parlant –, sidérant de clarté polyphonique et de justesse, Fantaisie n° 7 de Telemann d’une humaine noblesse, Sonate de Bartók impressionnante d’exactitude poétique, tout comme une Sonate de Debussy qui trouvait sa liberté dans un profond respect du texte, la Fantaisie op. 131 de Schumann relevant d’une même démarche.
Louisa Staples figure donc, et plus que légitimement, dans la liste des six finalistes. Un concours est aussi une épreuve physique et, hélas, la tension chute sous l’archet de la jeune britannique dès le récital. La beauté de la sonorité demeure, certes, mais la Sonate pour violon et piano n° 6 de Beethoven, manque d’allant et de mordant, comme Autumn Rhythm. Trop intellectualisé l’Andante de Schubert ne touche guère, pas plus qu’un Milhaud bien sage.
En finale orchestre, le lyrisme de l’Adagio de Haydn ne peut suffire face au Concerto de Tchaïkovski, trop alenti et excessivement lisse, où la fatigue se fait sentir. Pas de quoi toutefois remettre en cause le talent et la poésie que la jeune britannique a montrés en début de concours. Elle n’a que 18 ans ; à n’en pas douter, on entendra vite reparler d’une très belle musicienne, qui assure d’ailleurs depuis l’an passé la direction artistique du Alderney Chamber Music Festival.

(de g à dr. ) Daniel Kogan, Arata Yumi, Louisa Staples, Dmitry Smirnov, Mayumi Kanagawa, Diana Tishchenko & Renaud Capuçon © Masha Mosconi

Majoritaire parmi les candidats inscrits au Concours 2018, le Japon conserve un représentant en finale en la personne d’Arata Yumi (26 ans), formé à l’Université de Zurich et à la Chapelle Reine Elisabeth, qui obtient le 5ème Prix. Bien scolaire lors des éliminatoires, le violoniste montre un peu plus de liberté en demi-finale avec une séduisante Fantaisie n°1 de Telemann ou un Caprice n° 2 de Paganini imaginatif. Reste qu’une sonorité très serrée et un manque de projection handicapent le candidat. En finale récital (à une heure tardive qui ne l’avantage guère il faut le reconnaître), le 1er mouvement de la Sonate n° 1 de Schumann manque d’engagement et de feu. On voudrait plus de couleurs et de vie dans la Sonate n°6 de Beethoven ou dans la pièce de Camille Pépin. Schubert manque d’échange entre ses protagonistes et le Milhaud (victime au départ d’un problème de mentonnière qui oblige le candidat à quitter la scène, pour réparation, pendant quelques minutes) est certes honorablement mené mais manque de saveur. La finale concerto, malgré un Orchestre des Pays de la Loire ayant du mal à trouver ses marques dans l’acoustique de l’Auditorium, permet à Arata Yumi d’offrir la meilleure partie de son parcours avec l’Opus 47 de Sibelius, qui pêche toutefois par une sonorité pâle et un jeu insuffisamment épanoui.

Autre personnalité atypique, le Russo-Canadien Daniel Kogan (25 ans) se range au 6ème rang du palmarès. Formé au Conservatoire central de Moscou, le petit-fils de l’illustre Leonid Kogan a eu ses adeptes parmi le public, tout comme au sein d’un jury qui lui aura permis d’atteindre la finale. Je reste pour ma part plus que réservé sur un interprète jouant le plus souvent la carte de la lenteur sans vraiment parvenir à l’habiter. La Fugue de la Sonate BWV 1005 annonçait la couleur aux éliminatoires et si (en demi-finale) l’étrangeté de la Fantaisie n° 3 de Telemann et de la Sonate de Bartók ont pu retenir l’attention, on n’a guère adhéré à une Sonate de Debussy manquant de simplicité ou à une Fantaisie de Schumann franchement décousue et entachée de problèmes d’intonation. En finale, la Sonate n° 6 de Beethoven (avec un Adagio rendu interminable...), dépourvue d’élan et de vie, comme Autumn Rhythm, précède un Andante de Schubert peu fusionnel et un Milhaud éloigné de l’esprit du morceau et d’un très goût discutable.
La simplicité n’est pas le trait dominant de l’Adagio du Concerto n°1 Haydn  et, dans le Concerto en ré majeur de Beethoven, le manque de relief et la poseuse mollesse des phrasés de Daniel Kogan engendrent un mélange d’ennui et d’agacement.

Pas de concours enfin sans la participation de divers pianistes accompagnateurs. Les candidats du Concours 2018 auront pu compter lors des éliminatoires sur Kanae Endo, Pierre-Yves Hodique et Guillaume Sigier, ces deux derniers assurant la suite des épreuves jusqu’à la finale récital. Seuls Daniel Kogan et Dmitry Smirnov ont préféré concourir avec leurs pianistes attitrés, respectivement Oleg Khudiakov et Marco Scilironi.

Rendez-vous à l’automne 2019 pour des épreuves de piano très attendues !

Alain Cochard

Paris, Salle Cortot, Auditorium de Radio France, du 2 au 10 novembre 2018

Photo © Masha Mosconi

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