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​Concours international de musique de Genève 2023 (Quatuor à cordes) – Déconcertant ex-aequo – Compte-rendu

 
À chaque édition du Concours international de musique de Genève, son instrument ou, plus exactement, ses instruments puisque, tous les ans, il fait place à deux catégories nouvelles. Après le piano et la composition en 2022, la flûte et le quatuor cordes figurent au menu de la 77édition. Premier dans l’ordre, une semaine avant la flûte, le quatuor – qui n’avait pas été abordé à Genève depuis 2016 – occupait l’ultime épreuve du 29 octobre au Victoria Hall. 23 quatuors ont déposé leur dossier d’inscription au 77e Concours (la limite des âges cumulés des quatre instrumentistes étant fixée à 120 ans), parmi lesquels 14 (issus de 11 pays) ont été sélectionnés pour participer à l’épreuve online. 6 restaient en lice pour les deux dernières épreuves, à Genève. Suite à un désistement de dernière minute, 5 formations seulement ont pris part à la demi-finale (24-27 oct., divisée en deux récitals et une présentation de « Projet Artistique »), au terme de laquelle trois demeuraient en finale : le Hana Quartett, le Quatuor Elmire et NOVO Quartet (photo), que le jury présidé par Corina Belcea (1) a eu pour tâche de départager.
 

Le NOVO Quartet (Kaya Kato Møller, Nikolai Vasili Nedergaad, Daniel Sledzinski, Signe Ebstrup Bitsch)  © Anne-Laure Lechat
 
Le fait de jouer debout porterait-il chance à Genève ? C’est un tout cas une formation ayant opté pour cette disposition qui, à l’instar du Vision String Quartet en 2016, a remporté la première place : Le NOVO Quartet (Danemark). Fondé en 2018, l’ensemble peut déjà se prévaloir de succès dans diverses compétitions, le plus récent étant le 2Prix du Concours Nielsen au début de l’année, précédé du 1er Prix au Concours Steels-Wilsing de Heidelberg et d’un 2Prix au Concours de Trondheim en 2021.
Troisième dans l’ordre de passage, les NOVO ont choisi la 2Quatuor en la mineur op. 13 de Mendelssohn. Après la prestation soignée mais encore scolaire du Hana Quartett, qui ouvrait la finale avec le 3Quatuor op. 44/1 du même auteur, les jeunes musiciens danois font montre d’un autre niveau avec une belle sonorité, bien projetée, une entente et un équilibre remarquables qui retiennent immanquablement l’attention. Dans une partition marquée par le choc de la mort de Beethoven, ils offrent un Adagio émouvant et vécu. On goûte aussi la finesse très chorégraphique de l’Intermezzo, le Presto-Adagio non lento chutant quelque peu en tension nous semble-t-il.
Un excellent second prix, s’est dit votre serviteur au terme de leur passage. Reste que l’auditeur de la seule finale n’a qu’une partie des critères de choix du souverain jury en main. Celui-ci en a donc décidé autrement et attribué le Premier Prix du 77Concours au NOVO Quartet, récompense suprême à laquelle s’ajoutent le Prix du Public, le Prix Jeune Public, le Prix des Etudiants et le Prix Concerts de Jussy. Telle est la loi des concours et il n’est pas un instant question de discuter le niveau et la musicalité, admirables, du NOVO Quartet.
 

Le Quatuor Elmire (David Petrlik, Yoan Brakha, Hortense Fourrier, Rémi Carlon) © Anne-Laure Lechat
 
On est en revanche assez déconcerté par le Second Prix ex-aequo entre le Quatuor Elmire (France) et le Hana Quartett (Allemagne) qui, durant cette finale, ne jouaient franchement pas dans la même catégorie.
Fondé en 2017, le Quatuor Elmire a connu diverses configurations autour du violoncelle de Rémi Carlon, présent dès l’origine. Avec l’arrivée de David Petrlik au premier violon en février dernier, la formation a d’évidence trouvé son centre de gravité. Quatuor n° 8 op. 59/2 de Beethoven : les musiciens n’ont pas choisi la facilité et l’on a été conquis par leur prestation. D’une présence scénique évidente avant même l’attaque de la partition, les Elmire procurent d’entrée de jeu la sensation de pétrir un matériau vivant. On peut envisager des approches plus abruptes, plus spectaculaires du deuxième « Razumovsky ». Les artistes – car ils le sont, vraiment – optent pour une conception plutôt intériorisée et la tiennent, de bout en bout, sachant laisser respirer la musique et la parsemer de points d’interrogation dans l’Allegro. Avec un « con molto di sentimento » bien compris, la Molto Adagio, illuminé par la chanterelle de Petrlik, manifeste une vie intérieure, que l’on retrouve, véritable agitato de l’âme cette fois, dans l’Allegretto. Avant un Presto radieux et humain, qui se referme sous un tonnerre d’applaudissements.
 

Le Hana Quartett (Fuga Miwatashi, Gyurim Kwak, Emiko Yuasa, Johannes Välja) © Anne-Laure Lechat
 
Outre le Second Prix, les Elmire obtiennent le Prix du Projet Artistique le plus remarquable (et le Prix Fondation Etrillard, son corollaire), ce qui introduit, si l’on peut ainsi s’exprimer, un gradation dans l’ex-aequo avec le Hana Quartett, ensemble allemand fondé en 2019, qui a reçu un prix d’encouragement au Concours de l’ARD de Munich l’an dernier. Il le mérite, incontestablement. Son 3Quatuor en ré majeur de Mendelssohn témoigne d’une grande délicatesse, d’une impeccable fluidité, et d’un potentiel de développement évident de la part d’instrumentistes qui manquent toutefois encore de densité sonore et jouent à la troisième personne du singulier.
 
Si ex-aequo il devait y avoir, nous l’aurions imaginé, vous l’aurez compris, sous une autre forme. Les concours sont les concours ...
 
Alain Cochard

 

(1) entourée de William Coleman, Gabriel Le Magadure, Christian Poltéra, Lesley Robertson, Vineta Sareika. Précisons Corina Belcea était aussi à la tête du jury de présélection
 
Genève, Victoria Hall, 29 octobre 2023
 
Photo © Anne-Laure Lechat

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