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Concours d'orgue Olivier Messiaen de Lyon 2022 – Une finale de haut vol – Compte-rendu

 

 
 
La planète orgue française ne se limite pas à Paris, Toulouse ou Strasbourg : Lyon s'impose cet automne tel un centre de première grandeur avec l'inauguration mi-octobre de l'orgue de la primatiale Saint-Jean-Baptiste, reconstruit en 2019-2022 par les ateliers Quoirin : 68 jeux sur quatre claviers et pédalier (1), et le Concours Olivier Messiaen qui, désormais annuel, alterne orgue et piano – ce dernier, instrument originel du Concours, sera au cœur de l’édition.
 
Cette seconde édition du Concours Messiaen, ressuscité à Lyon en 2019 mais riche d'une histoire déjà longue et mouvementée (2), avait de nouveau pour épicentre l'orgue de l'Auditorium de l'Orchestre national de Lyon, initialement pensé par Cavaillé-Coll pour le Trocadéro – la musicologue Claire Delamarche en est la conservatrice (3). Organisé par l'établissement public de coopération culturelle Arts en Isère Dauphiné Alpes (AIDA) en partenariat avec l’Auditorium, le Concours, ouvert aux organistes âgés de moins de trente ans, se déroulait en quatre étapes, dont trois publiques. Des dix-sept candidats initialement inscrits, quatre étaient retenus pour l'ultime étape.
 
 

Quatre personnalités contrastées et impressionnantes
 
La finale du Concours, comme les étapes intermédiaires et en particulier la demi-finale, d'un niveau exceptionnel, fit l'unanimité du jury sur au moins un point : l'excellence, impressionnante, des musiciens retenus. Pour le reste, la difficulté de « classer » des personnalités si foncièrement contrastées pourrait expliquer la longueur des délibérations, chaque juré ayant naturellement ses préférences et ses priorités, tout comme le public, venu nombreux pour la finale. Une œuvre commandée pour le Concours 2022 ouvrait la prestation de chaque finaliste, vrai concert de 45 minutes : Terouah – Psaume 150 de François Meïmoun, pièce composée pour Lyon mais ressemblant singulièrement à celle que le compositeur avait écrite pour le Concours Jean-Louis Florentz – Académie des Beaux-Arts d'Angers 2021. D'une excessive complexité, elle ne fit certes pas l'unanimité, œuvre d'un non organiste multipliant les obstacles quand on aurait pu atteindre un même résultat musical de façon plus idiomatique. La difficulté de l'œuvre, d'une quasi désinvolte disproportion, expliquerait quelques défections parmi les candidatures initiales, pourtant de haut niveau.
 
Goût, intelligibilité, perfection
 
On admire d'autant plus le cran des quatre finalistes, avec un avantage déterminant pour celui qui, le premier, fit entendre au public l'œuvre commandée : Lukas Nagel (photo, Allemagne). Son interprétation tout simplement magistrale de Terouah ne pouvait, par la force des choses (et jouée ainsi, l'œuvre ne manquait pas de vaillance et avait même fière allure), qu'être l'aune à laquelle les autres eurent à se mesurer. Son programme enchaînait sur la Symphonie n°3 (sans le Final) de Vierne puis Dieu parmi nous de Messiaen : une manière de constante perfection, suprême de goût, d'intelligibilité, de décence (sinon de feu sacré) – et c'est précisément à Lukas Nagel que le Grand Prix Olivier Messiaen (6000 €) a été décerné, mais aussi, à juste titre, le Prix pour la meilleure interprétation de l'œuvre nouvelle (3000 €). 
 

Pierre-François Purson, Troisième Prix © DR

Sens de la dramaturgie
 
L'interprétation de Terouah par le candidat suivant : le Français Pierre-François Purson (actuellement en master au CNSMD de Lyon), si elle fut peut-être d'une moindre exactitude, y ajoutait néanmoins un tempérament et un sens remarquable de la dramaturgie que l'on retrouva, véhéments et prenants, dans le reste de son programme : formidable Victimae paschali laudes de Tournemire, les deux Fantaisies de Jehan Alain, Les Anges et Dieu parmi nous de Messiaen. Le musicien a reçu le Troisième Prix (3000 €).
 

Luca Akaeda Santesson, Deuxième Prix © DR

Magistrale restitution
 
L'approche de Terouah par Luca Akaeda Santesson (Japon / Suède, passé par le CSNMD de Lyon, où il est organiste, et Grand Prix d'Orgue Jean-Louis Florentz – Académie des Beaux-Arts 2022), fut des plus singulières, comme en marge de l'aspect tellurique de l'œuvre. Répertoire français exclusivement, comme les autres musiciens en lice, avec le Cantabile de Franck, les premier et dernier mouvements de la Symphonie-Passion de Dupré, splendides d'esprit mais pas nécessairement, dans leur déroulé, les mieux à même de nourrir sur la durée la surprise, et une longue page de Messiaen : L'Apparition du Christ ressuscité à Marie-Madeleine du Livre du Saint Sacrement, que l'on est en droit de ne pas trouver la plus palpitante de ce cycle tardif dans lequel Messiaen « se souvient » (de son parcours, mais aussi de ses maîtres), quand bien même la restitution en fut magistrale, notamment dans la gestion de l'écoulement du temps : elle a valu au musicien le Prix pour la meilleure interprétation de l’œuvre d’Olivier Messiaen (2000 €), et l'ensemble de sa prestation le Deuxième Prix du Concours (4000 €).
 

Kasumi Hamano, Quatrième Prix © DR

Moyen effarants et maîtrise du temps
 
Le dernier candidat aurait pu rebattre les cartes : Kasumi Hamano (Japon), organiste à Zaandam, aux Pays-Bas. Un concentré volcanique, sans y paraître, qui ne fit qu'une bouchée, survoltée, de Terouah. Des moyens instrumentaux presque effarants, ce qui peut nuire à l'appréciation d'un musicien, perçu tel un « simple » virtuose aux doigts et pieds d'acier – Les Yeux dans les roues du Livre d'orgue, véritable tsunami au manuel, sans doute un rien survolé. Et pourtant, que de poésie et de contrastes dans les Chants d'oiseaux du même recueil, Kasumi Hamano relevant le défi de la continuité de cette pièce juxtaposant une multitude d'incises avec, lui aussi, une maîtrise du temps réfléchie et sentie.
La finale se refermait sur les Trois Danses de Jehan Alain, chef-d'œuvre restitué avec aplomb et maturité, coulé dans un même souffle sans aucune perte d'énergie. Deuils était tout aussi accompli que les mouvements externes, le premier, Joies, faisant comme rarement rejaillir l'influence subliminale du jazz. Un impact puissant, qui s'est traduit, sans surprise, par le Prix du public (1000 €) – comme déjà au Concours Jean-Louis-Florentz 2021 (Prix Pierre Pincemaille), en plus du Second Prix (Prix de la Ville d'Angers) décerné lors de la finale parisienne à Saint-Eustache. Le jury lyonnais a également attribué au musicien le Quatrième Prix (2500 €) de ce Concours Olivier Messiaen 2022.
 

© Nicolas Auproux
 
Concert d’apparat
 
La veille de la finale du samedi 5 novembre, un concert d'apparat réunissait six membres du jury (4) – le compositeur Alain Louvier, qui fut directeur du CNSM de Paris, non organiste mais disciple et lien direct avec Messiaen, était le septième membre de ce jury international. Un programme d'une magistrale diversité fut proposé à l'orgue de l'Auditorium, dont on admire la manière de sonner si librement dans une salle chaleureusement réverbérée, l'immense niche dans laquelle il est logé tenant lieu d'efficace caisse de résonance. L'organiste espagnole Loreto Aramendi (Cavaillé-Coll de Santa María del Coro, San Sebastián) ouvrit le feu avec un Buxtehude vif-argent – la musique ancienne sonne étonnamment depuis la restauration par Michel Gaillard – suivie de Funérailles de Liszt (transcription Robilliard) plus héroïques et impétueuses que dramatiquement évocatrices, sur un tempo d'emblée soutenu. Le compositeur belge, et président du jury, Benoît Mernier fit entendre son éloquent Pange lingua associant les trois pièces de Nicolas de Grigny (5), la première partie du concert se refermant sur le final de la Sonate I de Jean-Pierre Leguay par Pascale Rouet – grande dame de l'orgue contemporain (et rédactrice en chef d'Orgues Nouvelles) : un monument, spectaculaire et exigeant tout de l'instrument – et de qui le touche !
 
En seconde partie, Nathan Laube (États-Unis), lisztien accompli et démiurge romantique, souleva l'enthousiasme du public avec sa transcription du poème symphonique de Liszt Les Préludes – phénoménal, un juste triomphe. L'organiste allemand Bernhard Haas – dont la classe (Hochschulen de Stuttgart puis Munich) attire des musiciens de toute l'Europe, dont nombre de Français – proposa un extrait de l'Opus 69 de son cher Max Reger (trop peu joué en France) puis Les mains de l'abîme du Livre d'orgue de Messiaen. Loïc Mallié (Premiers Prix d'Improvisation à Lyon au piano en 1977 puis à l'orgue l'année suivante), autre disciple de Messiaen et titulaire honoraire de la Trinité : la tribune parisienne de Messiaen, improvisa un vibrant hommage à son maître sur des thèmes fournis par ses collègues du jury, avant d'interpréter un extrait du Livre du Saint-Sacrement, dernier grand cycle de Messiaen.
 
Michel Roubinet

 

Lyon, Auditorium de l'Orchestre national de Lyon, 4 et 5 novembre 2022
www.maisonmessiaen.com/l-edition-2022/
 
 
(1) Patrimoine organistique de la ville de Lyon, particulièrement riche et varié
inventaire-des-orgues.fr/orgues/?page=1&departement=Rhône&query=Lyon&sort=completion:desc
 
(2www.concertclassic.com/article/le-concours-olivier-messiaen-renait-lyon-honneur-linstrument-du-maitre-lorgue-compte-rendu
 
(3www.auditorium-lyon.com/fr/1878-palais-du-trocadero
 
(4) Concert des membres du jury
https://www.auditorium-lyon.com/fr/concert-du-jury
 
(5) Projet Hymnes
www.concertclassic.com/article/projet-hymnes-saint-severin-et-notre-dame-de-paris-de-nicolas-de-grigny-aux-compositeurs
 
 

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