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Concours d’orgue d’Angers 2014 – Hommage à Jean-Louis Florentz - Compte-rendu

Orgue d'angers

 Douze ans déjà que le Concours d'orgue d'Angers, présidé cette année par François-Henri Houbart, organiste de la Madeleine à Paris, est placé sous le parrainage de l'Académie des Beaux-Arts, grâce à l'un de ses membres éminents, lequel siégea d'ailleurs au jury de ce concours : Jean-Louis Florentz (1947-2004), compositeur, ethnologue passionné d'Afrique, et donc académicien. Disparu il y a dix ans, le 4 juillet 2004 – quelques jours plus tôt, le 28 juin, disparaît également Jean Boyer (1948-2004), insigne poète de l'orgue (1) – Jean-Louis Florentz a tout naturellement donné son nom au Grand Prix du Concours d'Angers, dont le président d'honneur est désormais un autre académicien : Thierry Escaich (élu le 6 mars 2013, dans la section de Composition musicale, au fauteuil précédemment occupé par Jacques Taddei, en même temps que Gilbert Amy, au fauteuil de Serge Nigg) – Thierry Escaich qui de nouveau cette année (pour la demi-finale) figurait parmi les membres du jury. Organisé avec le soutien des villes d'Angers et de Beaufort-en-Vallée, le Grand Prix Jean-Louis Florentz – Académie des Beaux-Arts, qui remplace le Concours National Inter-conservatoires créé en 1993 par la CSPO du Maine-et-Loire et son président Bruno Maurel, s'est ouvert cette année à l'international à la fois au niveau du jury, en la personne du compositeur et organiste allemand Jürgen Essl, et des candidats : pas moins de huit nationalités pour la sélection sur CD, des dix-sept candidats cinq ayant concouru lors de la demi-finale – les quelques désistements pourraient, en partie, avoir résulté de l'extrême difficulté de l'œuvre imposée pour la finale, œuvre signée Florentz – « difficiles, mes œuvres ?, m'avait-il dit à Angers, non, pas particulièrement »…
 
Si cette étape essentielle du Printemps des Orgues a lieu tout les ans lors du week-end de la mi-mai, cette édition commémorant le 10ème anniversaire de la disparition de Jean-Louis Florentz fut précédée le vendredi 16 d'un concert sur le remarquable Cavaillé-Coll–Beuchet-Debierre de la cathédrale d'Angers (grandiose buffet classique de 1748) donné par Olivier Latry – qui fut proche de Florentz et, avec Michel Bourcier, l'un de ses premiers interprètes – et son épouse l'organiste coréenne Shin Young Lee. En ouverture de programme et par Olivier Latry, figurait le Prélude de l'Enfant noir op. 17-1 (1979-2002) « conte symphonique » (d'après le livre de Camara Laye, 1953) créé par Béatrice Piertot lors du Concours d'Orgue 2002 de la Ville de Paris et dernière œuvre pour orgue de Florentz  (2). Ce cycle est malheureusement resté inachevé : devaient s'ensuivre douze pièces « accessibles », à destination des jeunes musiciens, couronnées d'un Postlude aussi virtuose et complexe que le Prélude. D'une aisance confondante, l'interprétation d'Olivier Latry fut de facto la référence à laquelle allaient devoir se mesurer les candidats de la finale, puisqu'il s'agissait de l'œuvre imposée. D'une rythmique diabolique (perceptible bien davantage à la lecture qu'à l'écoute), cette page d'une intimidante complexité fut suivie de l'un des monuments de Florentz : La Croix du sud op. 15 (1975-2000), « poème symphonique pour orgue » créé par Olivier Latry à Saint-Rémi de Reims en 2000 mais ici interprété par Shin Young Lee, tout aussi remarquable de sobriété, mettant en œuvre de façon optimale la singulière richesse structurelle et poétique de cette œuvre redoutable.
 
Les deux interprètes furent ensuite réunis pour une version – inspirée de celle à deux pianos du compositeur lui-même – du Sacre du Printemps de Stravinski originellement créée à Angers, en 1999, par Olivier Latry et Yves Castagnet. La projection sur écran géant du jeu des musiciens, qui dans certaines configurations détourne l'attention de l'auditeur de la matière strictement musicale, fut en l'occurrence un atout considérable : une chorégraphie à part entière, d'une somptueuse élégance (ce passage où les quatre mains parallèles remontent inlassablement les degrés des trois claviers avec chaque fois un léger rebond d'une parfaite harmonie !), permettant de suivre les innombrables méandres (et risques de collision en plein vol) d'une instrumentation extraordinairement raffinée, tenant l'équilibre sans jamais faillir entre subtilité et puissance, jusqu'à véritablement faire de ce ballet stravinskien une œuvre authentiquement pour orgue. Oliver Latry en état de grâce musicale et personnelle, manifestement inspiré par Shin Young Lee, modèle de concentration, de maîtrise et de musicalité. Pour faire revivre la magie de ce moment d'exception, on pourra écouter l'enregistrement que les mêmes interprètes ont réalisé à Cannes sur l'orgue Mühleisen (2008) de Notre-Dame de Bon Voyage (BNL, 2013).
 
Le lendemain avait lieu la traditionnelle demi-finale de Beaufort-en-Vallée (avec en pièce imposée le grand Praeludium en mi mineur de Bruhns), sur un orgue dont on doit à l'honnêteté de dire que le principal intérêt, compte tenu d'une facture instrumentale guère convaincante, est de permettre aux candidats de faire montre de leur discernement. Sous les doigts de certains l'orgue sonne tel qu'il est, peu équilibré et en un mot plutôt laid, mais sous les doigts des plus musiciens il peut sembler littéralement métamorphosé (toutes proportions gardées). Il va sans dire que si des différences marquées d'emblée s'imposèrent entre les cinq candidats, l'ensemble témoignait d'un niveau indéniablement supérieur – notamment sur le plan de la technique instrumentale, formidablement accomplie chez ces musiciens d'une vingtaine d'années. Il fallait garder quatre finalistes et la dure loi des concours contraignit à éliminer Jeanne Chicaud (lauréate des CRR de Nantes et de Strasbourg), qui n'avait certes pas démérité, pour ne garder que Camille Deruelle (CRR de Toulouse), Stéphane Mottoul (IMEP de Namur – séduisant Concerto en mineur de Bach-Vivaldi qui fit miroiter des espoirs hélas déçus en finale), Thomas Ospital (CRR de Bayonne), avec un Andante de la Gothique de Widor à se faire croire sur un Cavaillé-Coll : du très grand art à Beaufort !, et Jacob Street (Conservatoire d'Oberlin, Ohio), avec entre autres des Naïades de Vierne d'une subtilité qui d'emblée montra entre quels candidats la finale se jouerait…
 
Autre format le lendemain, en la cathédrale d'Angers et sur un orgue permettant aux musiciens de réellement s'épanouir et de s'imposer durant une épreuve en forme de véritable concert. Force est de dire que ni Camille Deruelle (œuvres de Anton Heiller, Valéry Aubertin et Horatiu Radulescu) ni Stéphane Mottoul (Suite op. 5 de Maurice Duruflé, avec une Sicilienne bien contrainte – cycle dont Thomas Ospital est actuellement l'un des interprètes les plus puissamment inspirés, cf. Actualité du 21 mai 2013) ne parvinrent à faire pleinement sonner l'instrument – le choc acoustique lorsque Jacob Street s'empara des claviers !, l'orgue faisant soudainement sien tout l'immense espace de la nef unique. L'œuvre imposée de Florentz fut à cette égard révélatrice : tout simplement fantastique (rien à envier à Olivier Latry !) sous les doigts de Jacob Street et de Thomas Ospital, avec une rythmique initiale encore plus africaine que nature, une liberté symphonique et une acuité renversantes. Street y ajouta le Prélude et Fugue en si mineur de Dupré, grandiose et extraordinairement stylé, la Sicilienne de Duruflé – à des années de lumière de la version précédente et d'une souplesse idéale, avant de finir sur une pièce étrange mais magistrale sous ses doigts : Prélude et Danse fuguée de Gaston Litaize. Il faut du goût et infiniment de tact pour sublimer le trémoussant sujet de la fugue : le jeune Américain en a revendre ! Thomas Ospital refermait cette finale avec Vierne : un dernier mouvement de la Deuxième Symphonie prodigieux de maturité et de plénitude, un Impromptu des Pièces de fantaisie, digne, osons le mot, d'André Marchal, son dédicataire – et pour finir la Toccata de la Suite de Duruflé : d'un surcroît d'éloquence presque déstabilisant, grisante et stylée sur fond de prise de risque sidérante, reflet d'une maîtrise infiniment à la hauteur et sensible.
 
L'une des nouveautés du Concours 2014 était l'attribution d'un Prix du public (500 €) – au jeu des pronostics personnels la prestation de Thomas Ospital faisait pencher la balance en sa faveur (la mort dans l'âme tant Jacob Street avait été magnifique), et ce fut bien lui qui remporta cette distinction. L'autre grande nouveauté était l'attribution au candidat arrivé en deuxième position d'un Second Prix offert par la Ville d'Angers (1000 €), lequel revint à Jacob Street, le Grand Prix Jean-Louis Florentz offert par l'Académie des Beaux-Arts (4500 €) revenant naturellement à Thomas Ospital, déjà grandement admiré l'automne dernier lors du Concours Xavier Darasse de Toulouse (cf. Actualité du 4 novembre 2013). Tout en redisant le niveau remarquable de tous les candidats, et dans la mesure où un concours sert également à repérer les musiciens les plus marquants de la génération montante, les deux finalistes primés ne pourront que donner à tout organisateur de concerts l'irrésistible envie de les inviter : les concours sont des machines souvent inhumaines (pas à Angers, dont l'esprit, bien qu'exigeant, est conforme à l'art de vivre, doux et lumineux, de l'Anjou !), mais du moins offrent-ils cette possibilité de mettre en pleine lumière des musiciens d'ores et déjà accomplis. Le Grand Prix Jean-Louis Florentz sera officiellement remis au lauréat le 19 novembre prochain, sous la coupole de l'Institut de France.
 
 
Michel Roubinet
 
Cathédrale d'Angers et église de Beaufort-en-Vallée, 16, 17 & 18 mai 2014
 
 
(1)Un livre signé Catherine Boyer et Jean Ferrard : Jean Boyer, un portrait-mosaïque, paraîtra le 28 juin, jour du dixième anniversaire de la disparition du musicien :
www.lemagazinedel.org/souscription.php?PHPSESSID=29e3d4b7c1e037ac6e864b16cf74d564
 
Parmi les hommages rendus au musicien et pédagogue profondément admiré, mentionnons le concert qui sera donné le 1er juin en l'église réformée de l'Étoile (Paris) par Fabrice Pincet et Lionel Avot.
 
(2)Pour mieux connaître le compositeur, outre le dossier très complet que lui consacre la revue trimestrielle Orgues Nouvelles, on se reportera à Jean-Louis Florentz, l'œuvre d'orgue – témoignages croisés, ouvrage de Marie-Louise Langlais (Symétrie, 2009) accompagné de deux CD permettant d'entendre les quatre pièces pour orgue du compositeur : Laudes op. 5 et Debout sur le soleil op. 8 par Michel Bourcier à l'orgue de Saint-Eustache, Paris (1994, Koch) ; La Croix du sud op. 15 par Olivier Latry à Notre-Dame de Paris (2000) ; Prélude de L'Enfant noir op. 17-1 par Béatrice Piertot à Saint-Eustache (2003).
 
 
Sites Internet :
 
Le Printemps des Orgues – Grand Prix Jean-Louis Florentz
printempsdesorgues.fr/?q=node/46
 
Association Jean-Louis Florentz
www.jeanlouisflorentz.com/fr/accueil,2.html
 
Orgues Nouvelles (n°24, printemps 2014) : Jean-Louis Florentz – L'étonnant voyageur
orgues-nouvelles.weebly.com
 
Orgue en France – Palmarès du Concours d'Angers
www.orgue-en-france.org/2014/05/22/grand-prix-dorgue-jean-louis-florentz/#
 
 
Photo orgue de la cathédrale d'Angers © DR

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