Journal

​Concert « Speech » du Festival ManiFeste 2020 - La parole faite musique - Compte-rendu

Placée sous titre « Musiques-Fictions » et sous le signe des sortilèges de la voix, cette édition du Festival ManiFeste parcourt les chemins détournés de la relation du son avec la vocalité humaine et le traitement électroacoustique (obligé pour ce festival de l’Ircam). Ainsi ce concert-clef, sixième de la série, intitulé opportunément « Speech », qui confronte une suite de pièces où la parole et sa projection se font volutes sonores, servies par les musiciens en direct dont ceux de l’ensemble belge Ictus et la technique Ircam à la charge d’Alexis Baskind.
 
Première de ces pages, Sonate in Urlauten (Sonate en sons primitifs) est due à Kurt Schwitters (1887-1948), peintre et poète allemand en son temps disciple dissident dadaïste. L’œuvre, datée de 1932, ici dans ses premier et quatrième mouvements (ce dernier pourvu d’une cadence originale de Georges Aperghis), se destine à la voix seule qui lance des onomatopées crypto-germaniques sous forme d’éructations rugueuses, non dépourvues d’humour. Michael Schmid, habituellement flûtiste dans l’ensemble Ictus, s’en acquitte de mémoire face au micro, avec un bagout varié dans une forme d’exploit vocal pendant non moins de 16 minutes. Les deux brefs extraits de Voices and Piano écrits en 1998 par Peter Ablinger (compositeur autrichien né en 1959), font pour leur part place au piano qui accompagne dans une manière de paraphrase deux brefs discours enregistrés et transformés, de Schoenberg (assez désopilant, protestant contre son éditeur) et de Billie Holiday (évoquant en riant des souvenirs). Page pianistique volubile (sous les doigts de Jean-Luc Plouvier), avec références obligées au style de chacune des deux fameuses personnalités musicales mises à contribution, dont une fois encore l’humour n’est pas absent.
 

Rebecca Saunders © Astrid Ackermann
 
Au centre du concert, The Mouth en création de Rebecca Saunders (née en 1967), compositrice britannique en vogue et célébrée par ce festival, laisse la part à un solo de soprano serti d’électronique. Juliet Fraser, dédicataire de l’œuvre, lance ardemment sa longue plainte faite de murmures en manière de soliloque, sur un livret en récitations dû à la compositrice, dans une tessiture aigüe au-dessus de vrombissements et gazouillis électroacoustiques. Succède Three Ladies Project de Georges Bloch (né en 1956), créé en 2015 mais révisé pour l’occasion, qui fait défiler des images de synthèses (prises à Vertigo d’Hitchcock, d’un concert Mahler dirigé par Abbado, d’apparitions d’Édith Piaf et de Lisa della Casa…) sur fond de piano lyrique (que les images appellent, par Hervé Sellin) et de dispositif électronique évanescent (à la charge de Bloch lui-même) entremêlant les échos musicaux des images. Et pour finir, Vaduz de Bernard Heidsieck (1928-2014), pionnier français de ce qui fut appelé « poésie sonore » ou « poésie action », pièce datée de 1974 pour voix seule et bande, sur un texte déjanté énumérant sans fin des noms d’ethnies et de nationalités, dans une drôlerie de circonstance mais aussi d’un impact prenant – tel que le transmet la voix d’un percutant Jean-Luc Plouvier (qui délaisse son piano). Un concert hors des habitudes et des conventions, pour un propos parole-musique hors des sentiers rebattus, et tout un manifeste de la pertinente personnalité de ce festival.
 

Pierre-René Serna

Paris, Grande salle du Centre Pompidou – 5 septembre / Festival ManiFeste, jusqu’au 13 septembre 2020
 manifeste2020.ircam.fr

© Hervé Véronèse

Partager par emailImprimer

Derniers articles