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Concert des Révélations classiques Adami 2015 au Festival Pablo Casals – Les talents du 3 août

Il reste encore trois bons quarts d’heure avant le commencement du concert des Révélations Adami, mais le public est déjà là, et en nombre. Tant et si bien qu’il faudra rajouter des chaises - et serrer un peu les coudes - dans l’église de Catllar (à quelques kilomètres de Prades) pour satisfaire le maximum d’auditeurs. Organisée de façon désormais rituelle le 3 août dans le cadre du Festival Pablo Casals, la présentation officielle de la sélection Adami de l’année remporte un succès croissant. Il est vrai que l'on part toujours avec curiosité et bonheur à la découverte des jeunes interprètes choisis par Sonia Nighogossian et Françoise Petro. Composée de huit jeunes musiciens, la sélection se partage systématiquement entre quatre chanteurs et quatre instrumentistes, chacun se présentant dans un court programme d’une quinzaine de minutes environ.
 
Remarquée pour sa Corinna dans le Viaggio à Reims donné en mars dernier au Conservatoire de Paris, Pauline Texier intégrera à la rentrée l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris. Présence, piquant, élégance : l’air « Je romps la chaîne » de Grétry (L’amant jaloux) séduit immédiatement. Ce choix de répertoire original met en valeur le tempérament radieux d’une soprano qui nous entraîne ensuite chez Mozart avec le « No, che non sei capace » KV 419. Un air de concert où la justesse de l’intonation, la souplesse du legato, l’aisance de la colorature vont de pair avec un style et un naturel qui traduisent une expérience déjà solide de la scène.
 
La mezzo Catherine Trottmann n’est pas en reste sur ce point. Sortie de CNSMD de Paris en 2014, elle a en effet déjà passé une saison en résidence dans la troupe … de l’Opéra de Vienne ! Mais on a aussi pu l’applaudir dans le Petit Prince de Michaël Levinas, création où elle tenait le rôle de La Rose. La richesse et l’homogénéité exemplaires de son instrument retiennent l’attention dans l’air d’Urbain « Nobles seigneurs salut » (Meyerbeer, Les Huguenots) et la chanteuse ne convainc pas moins dans le fameux « Parto, parto » de La Clemenza di Tito où le conflit intérieur vécu par Sesto s’exprime avec une ardeur magnifique.
 
Une dizaine de jours après sa participation à la « Carte blanche à Anne Le Bozec » dans le cadre du Festival Européen Jeunes Talents à Paris, on a été heureux de retrouver le ténor Fabien Hyon à Catllar. Encore étudiant pour un an au CNSMD de Paris, dans la classe de Malcolm Walker, il affiche d’emblée ses qualités dans l’air d’Arbace « Se il tuo duol » (Mozart, Idomeneo) conduit avec feu et noblesse. Le répertoire français lui réussit tout autant, comme le démontre le Rondo de Benedict « Ah, je vais l’aimer » (Berlioz, Béatrice et Bénédict) où sa voix claire, riche et ses qualités de diction font mouche. Quant à l’air d’Antonin « J’ai 25 ans … » (Hahn, Ciboulette), il souligne la facilité avec laquelle l’artiste change d’atmosphère musicale – et ses évidentes dispositions pour l’univers de l’opérette.
 
Formé à Genève auprès de Gilles Chachemaille, Nathanaël Tavernier est membre de l’Opéra Studio de l’Opéra national du Rhin et on a eu l’occasion de l’entendre en tout début d’année dans le (modeste) rôle de L’Ambassadeur de La Belle au bois dormant de Respighi à Colmar, Strasbourg, Paris et Mulhouse. Un basse, une vraie : Tavernier impressionne par la profondeur et la beauté du matériau vocal autant que par la qualité de ligne et d’articulation d’un chant toujours attentif aux mots. Dans le songe d’Hérode « O Misère des Rois ! » (Berlioz, L’Enfance du Christ), il exprime avec justesse le trouble qui habite son personnage. Comme chez les autres voix de ces Révélations 2015, Mozart est au programme d’un chanteur qui emporte le « O wie will ich triumphieren » d'Osmin (L’Enlèvement au Sérail) avec un parfait mélange d'autorité et de jubilation.
 
Côté instruments, le violon est représenté par Hildegarde Fesneau. Lauréate du dernier Concours Long-Thibaud (5ème Prix), elle manifeste un souffle, une précision et un aplomb remarquables dans le Mouvement perpétuel op. 0 n° 16 de Charly Mandon (né en 1990), avant de s’attaquer à l’Introduction et Tarentelle op. 43 de Pablo de Sarasate, diptyque dans lequel son jeu lumineux s’illustre avec brio et panache.
 
Remarqué au Concours Piano Campus de Pontoise 2014, Josquin Otal a choisi le Nocturne op. 15 n°2 de Chopin, pièce qui met en valeur une palette sonore finement nuancée, au service d’une expression aussi simple que directe. Suit Scarbo de Ravel …  A d’autres la virtuosité tape-à-l’œil : le jeune pianiste plonge en un instant au cœur de son sujet et privilégie de bout en bout la poésie maléfique et souterraine du redoutable volet conclusif de Gaspard de la nuit.
 
Les habitués du Festival de Pâques de Deauville connaissent depuis plusieurs années déjà le nom de Bruno Philippe (21 ans), un élève de Jérôme Pernoo et parmi les meilleurs représentants de la - si riche ! - jeune génération du violoncelle français. L’interprète sait tirer tout le suc du Pezzo capriccioso op. 62 de Tchaïkovski et en apprivoiser l’humeur fantasque avec chic, fantaisie et imagination sonore. Il vise juste aussi dans le Ballabile conclusif de la Sonate pour violoncelle et piano de Poulenc et concilie au mieux la couleur française et la saveur un peu canaille du propos.
 
Le jeu très vivant et complice de Sophie Teulon, pianiste accompagnatrice du concert, constitue un atout de taille pour ses divers partenaires. On ne l’on n’apprécie pas moins dans la Rapsodie pour clarinette de Debussy dont Amaury Viduvier, ancien élève de Pascal Moraguès et Jean-François Verdier au CNSMDP et lui aussi désormais invité régulier du Festival de Deauville, explore les atmosphères changeantes avec des attaques et des teintes variées, sachant rendre justice à l’onirique liberté de la partition. C’est en solo que le clarinettiste poursuit, dans une adaptation du 5ème Caprice pour violon de Paganini où ses moyens techniques stupéfiants parviennent à suggérer par le souffle l'ivresse virtuose de l’archet.
 
Enfin, pas de concert des Révélations Adami sans un final réunissant l’ensemble des huit artistes. Le pianiste Emmanuel Normand s’est chargé d’adapter pour l’effectif en présence cette année la scène du balcon de West Side Story, un épisode fameux offert - et d’ailleurs bissé - dans l’enthousiasme général.
 
Alain Cochard
 
Catllar, église, 3 août 2015

Photo ( de g à dr. : H. Fesneau, C. Trottmann, Josquin Otal, Amaury Duvivier, Sophie Teulon, Pauline Texier, Fabien Hyon, Nathanaël Tavernier) © Hugues Argence   

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