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Compte-rendu : « Varèse 360° » - Edgard où es-tu ?

« Fuyez la routine », s’exclamait Ferruccio Busoni ! La « vocation de la musique » était la liberté pour l’auteur de la Berceuse élégiaque et, de ce point vue, quelles que soient les différences entre les esthétiques des deux compositeurs, Edgard Varèse témoigne d’une exemplaire fidélité à l’esprit d’un maître qu’il côtoya à Berlin durant ses jeunes années. « Les sons qui sortent de son laboratoire sont nouveaux. Ils semblent sortir d’autres planètes », disait Anaïs Nin (auteur du poème de Nocturnal), d’un créateur puissamment libre et étranger à l’esprit de système, de l’avocat d’« un art fort et sain (…). Purgé de tout parisianisme. Un art qui vous empoigne aux tripes – et vous entraîne dans son tourbillon. », comme Varèse l’écrivait à André Jolivet en août 1934. On s’était replongé dans la savoureuse correspondance(1) entre ces deux artistes, pour se mettre l’eau à la bouche, déçu de ne pas avoir pu nous rendre à la première partie du « Varèse 360° » proposé à la salle Pleyel samedi soir et impatient de découvrir le second volet de la rencontre de la musique d’un des plus authentiques novateurs du siècle passé, dirigée par Peter Eötvös (à la tête de la Capella Amsterdam, du Asko/Schönberg Ensemble et du Philharmonique de Radio France), et des créations du vidéaste californien Gary Hill.

Les œuvres de Varèse donnent à voir, leur exécution est en soi un spectacle, nous dira-t-on. Certes, mais quel potentiel offrent-elles aussi – Varèse n’envisageait-il d’ailleurs pas un contrepoint visuel à Déserts ? – à celui qui saura, par l’image, offrir un prolongement à ce formidable univers sonore. Saura ? Après avoir vu le travail de Gary Hill, le futur demeure de rigueur… A la différence de certains puristes, l’association de la musique et de la vidéo ne nous pose pas a priori problème dans une aventure telle que ce « Varèse 360° » (Bill Viola dans Tristan, c’est une autre affaire…) à condition évidemment que l’image joue un rôle amplificateur et s’attache à entrer en symbiose avec la folie et la démesure des sons. Bref, tout sauf « meubler » le fond de scène avec trois écrans ; « Varèse 360° » pas « Gary Hill à Pleyel » !

L’affaire n’avait pourtant pas trop mal commencé avec Nocturnal – dans une interprétation sans grande saveur toutefois … - où objets de métal, de verre et figurines de terre cuite évoquaient avec un certain mystère les traces d’une civilisation disparue – des spectateurs présents la veille nous expliquèrent plus tard que cela présentait, comme pas mal d’autres choses, un petit goût de réchauffé… Las !, il fallut par la suite déchanter. Des images dignes d’un reportage de National Geographic sur une tribu amazonienne pour Arcana, dont l’interprétation sans « tripes » d’Eötvös déçoit profondément, d’aussi copieuses banalités sur un aussi pâlichon Ecuatorial – et pourtant quelque perche cette pièce incantatoire, du moins supposée l’être, tend-elle à un vidéaste capable de l’empoigner ! -, une galerie de visages, tous le regard vide et casque hi-fi sur les oreilles, de la mamie à la jeune fille machouillant son chewing-gum, sur l’Etude pour Espace… De la MJC à gros moyens ; navrant.

« Pollution visuelle » diront les détracteurs de la rencontre musique/vidéo ? Hormis un travail sur Ionisation dont l’abstraction paraît assez en phase avec l’inspiration « chimique » de la pièce et quelques images abstraites réussies dans un ensemble très inabouti sur Déserts, où Eötvös ne paraît guère plus impliqué que dans les grandes pièces qui précédaient, on ne peut en l’occurrence que leur donner raison, tant les partitions n’étaient plus qu’un support, un faire-valoir, un prétexte, piégées dans une entreprise de lissage et d’affadissement typique de notre époque de basses eaux. On est bien triste pour les jeunes auditeurs qui auraient découvert l’art de Varèse par ce biais conformiste et ronronnant, cet académisme de pseudo-avant-garde à l’unisson duquel la baguette d’Eötvös semble s’être mise.

Attrape-bobo, copieux moment d’ennui et énorme déception ? Oui mais, la musique de Varèse demeure. Au retour de ce concert, qui n’a d’ailleurs pas attiré la grande foule, on s’est précipité sur l’enregistrement d’Amériques, Ecuatorial et Nocturnal sous la baguette de Maurice Abravanel (Vanguard) - qui n’avait pas peur d’entendre les mots « crucifixion », « matrice », « semence », « sperme », lui ! -, on aurait pu en faire autant avec la magnifique anthologie Varèse de Boulez (DG) ou la précieuse intégrale de Chailly (Decca). Puisse un vidéaste inspiré tendre un jour la main à cette musique et partager avec elle « la vitalité de son secret », pour reprendre la belle formule de Pierre Boulez. Le champ est libre ; il n’attend que l’audace… Celle qui vous empoigne aux tripes !

Alain Cochard

(1) « Edgard Varèse-André Jolivet, Correspondance 1931-1965 » (Contrechamps, édition établie, annotée et présentée par Christine Jolivet-Erlih)

« Varèse 360° », 2ème partie – Paris, salle Pleyel, dimanche 4 octobre 2009

Programme de la Salle Pleyel

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Photo : DR
 

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