Journal

Compte-rendu : Une virevoltante maîtrise - Benjamin Alard interprète Bach

Benjamin Alard

Pour ce cinquième des dix concerts de l'intégrale Bach que le Théâtre des Champs-Élysées a demandé à Bernard Foccroulle de concevoir (1), le rythme habituel – un dimanche sur l'orgue Ahrend de l'église-musée des Augustins de Toulouse, le mardi suivant sur l'orgue Aubertin de Saint-Louis-en-l'Île à Paris – s'est trouvé inversé : Paris d'abord, Toulouse ensuite, pour un même programme.

Titulaire de cet Aubertin – le plus récent (2004) des grands instruments de la capitale – présenté tel un « orgue Bach » mais en réalité infiniment plus polyvalent, notamment en matière de musique française, Benjamin Alard (photo), aussi pleinement organiste que claveciniste, a fait se répondre des œuvres d'un Bach encore jeune et des pages célèbres de Leipzig, le tout couronné d'un diptyque d'époque intermédiaire sans doute pensé pour Cöthen. D'emblée le Prélude et Fugue en la majeur BWV 536 (1714) imposa allègrement les principales – et splendides – caractéristiques du jeu de Benjamin Alard : vivacité et élasticité sont les maîtres mots, qu'il s'agisse d'articulation, de phrasé ou de tempo. L'élégance et la vaillance sont également omniprésentes, sur des registrations sobres mais denses, reflet d'un bon goût dont l'interprète à aucun moment ne se déprend.

Les six chorals de Leipzig qui suivirent ne firent que confirmer cet équilibre dynamique, dont les trois fameux Allein Gott (« À Dieu seul dans les cieux soit la gloire ») et le sublime Schmücke dich, o liebe Seele (« Pare-toi, chère âme »). Aussi "naturels" que spontanément ébouriffants, faconde et moyens instrumentaux sont tels que l'interprète n'hésite pas à susciter le danger : pour preuve une Première Sonate en trio, notamment son Finale à très haut risque, restituée avec une aisance et une classe qui en imposent, ou la Toccata et Fugue en fa majeur BWV 540 qui refermait la soirée, avec une Fugue pétrie d'aplomb et d'éloquent panache.

Si au fur et à mesure du récital une interrogation a cependant fini par surgir, cela a tenu à ce que vivacité et élasticité furent en permanence sollicitées, presque à l'identique et sans vraiment tenir compte de la nature des œuvres, pièces libres ou chorals, de piété individuelle ou d'affirmation collective. Si bien que Bach a semblé littéralement danser toute la soirée (mais quel danseur !), les qualités évidentes de l'interprète convergeant malgré elles vers une approche un rien systématique. Outre qu'un détaché vif et d'un rebond marqué ne convient pas à tous les cas de figures ou registrations (mouvement médian de la Sonate, assise de certains chorals), on peut se demander ce que Bach et Luther auraient pensé d'un choral comme Ein feste Burg ist unser Gott (« Une puissante forteresse est notre Dieu ») : « cantique par excellence de la Réforme » (G. Cantagrel) aussi… puissamment virevoltant. On peut certes, en dépit du surtitre de ce cinquième programme : Bach orateur, invoquer une approche de type musique pure, indépendamment de la composante strictement luthérienne des pièces, ce qui toutefois n'exclurait pas une diversité d'approche répondant à la multiplicité des formes et à l'esprit qui les sous-tend.

Néanmoins, qu'un musicien fêtant cette année ses vingt-cinq printemps soit déjà en possession d'une telle maîtrise du clavier, de l'écriture et du style ainsi que de leur mise en œuvre, sans l'ombre d'une rupture de souffle, voilà qui aurait suffi à faire de ce concert un grand moment de vie et de musicalité. Mais imaginer l'évolution qui, nécessairement, s'offrira à lui à travers le temps, voilà qui ne peut que laisser rêveur. Raison de plus pour revenir écouter Benjamin Alard lors du 6ème concert de cette intégrale Bach : dimanche 14 février à Toulouse, mardi 16 février à Paris.

Michel Roubinet

5ème concert de l'intégrale de l'œuvre pour orgue de J.S. Bach, mardi 12 janvier 2010 à Saint-Louis-en-l'Île, Paris

Enregistré par France Musique, ce concert sera diffusé le mardi 26 janvier à 22 h 30 dans le cadre de l'émission de Benjamin François Organo Pleno

Sites Internet :

Benjamin Alard
http://www.myspace.com/benjaminalard

Théâtre des Champs-Élysées, Paris : Bach « Hors les murs »
http://www.theatrechampselysees.fr/saison-liste.php?t=8

Toulouse Parie sur l’Orgue – Bach 2009/2010
http://www.toulouse-les-orgues.org/web//222-toulouse-parie-sur-lorguebac...

Organo Pleno / programme de janvier à mars 2010
http://sites.radiofrance.fr/francemusique/em/organo-pleno/avenir.php?e_i...

(1)cf. 14e Festival Toulouse les Orgues - Bach en majesté
cf. De la sacqueboute au ciné-concert

Photo : DR

Vous souhaitez répondre à l’auteur de cet article ?

Lire les autres articles de Michel Roubinet

Photo : DR
 

Partager par emailImprimer

Derniers articles