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Compte-rendu : Un Wagner onirique - Parsifal au Grand Théâtre de Genève

Le Grand Théâtre de Genève reprend la production de Parsifal signée par Roland Aeschlimann en 2004 avec une distribution sans faute, dominée par la prise de rôle d’Albert Dohmen en Gurnemanz. Un vertige esthétique pour le dernier ouvrage du maître de Bayreuth.

Une série de prénoms allemands masculins apparaissent sur un voile bleu Klein comme autant de sources possibles à la légende de Parsifal, le chevalier sans nom. Le voile ne quittera jamais l’ouverture de scène, tandis que le panneau des prénoms se rabat pour joncher la scène : d’emblée, la mise en scène d’Aeschlimann affiche sa dimension onirique. L’ancien décorateur du splendide Tristan de Nikolaus Lehnoff avec Nina Stemme (disponible chez Opus Arte) poursuit dans la voie de son mentor : une scène hypnotique à l’architecture géométrique où d’imperceptibles glissements de lumière ne cessent de recomposer l’espace et les couleurs.

La beauté esthétique, souvent à couper le souffle, ne cherche jamais à combler artificiellement l’immobilité d’un drame dénué ou presque d’événements mais trouve une parfaite correspondance scénique avec un ouvrage où, selon les mots de Gurnemanz, « le temps se fait espace». La scénographie, depuis la lance grandiose juchée en milieu de scène au deuxième acte jusqu'à la forêt de Bouddhas du troisième intègre intelligemment les multiples sources, y compris orientales, de l’imaginaire wagnérien.

La réussite de cette production mémorable, c’est de rendre l’espace à la musique tout en rendant lisible par petites touches significatives tout à la fois la légende (médiévale), la religion (plurielle) et les métamorphoses de personnages en quête de rédemption. Tout naît de la musique telle une aube qui se lèverait sur un rêve d’après la mort.

La direction de John Fiore - succédant au regretté Armin Jordan qui dirigeait l’Orchestre de la Suisse Romande en 2004 - n’y est pas pour rien. À rebours d’un Boulez, il étend le temps de cette « mélodie infinie ». Avec des pupitres solides, le chef américain traduit aussi bien le souffle épique que la quête spirituelle dans un lyrisme crépusculaire.

Trait d’union parfait entre la fosse et la scène, la distribution de cette nouvelle production a été l’occasion d’un sans-faute pour le nouveau directeur du Grand Théâtre, Tobias Richter. Comme dans le Lohengrin de Baden Baden dirigé par Nagano (et mis en scène par Lenhoff encore), Klaus FlorianVogt est le ténor idoine pour le rôle-tire : un timbre adolescent doublé d’une belle technique vocale et de graves solides - la blonde chevelure du « chaste fol » de surcroît ! Lobia Braun (Kundry) et Detlef Roth (Amfortas) déploient tout leur sens dramatique dans une mise en scène qui, pour en être métaphorique, n’a pas par bonheur renoncé au théâtre des passions. Mais, à côté d’Andrew Greenan (Klingsor), comme toujours irréprochable, c’est Albert Dohmen, pour la première fois en Gurnemanz, qui domine de sa silhouette massive et d’une autorité vocale exceptionnelle ce plateau impressionnant, acclamé par le public. Assurément l’un des plus beaux spectacles vus à Genève cette saison.

Luc Hernandez

Wagner : Parsifal – Genève, Grand Théâtre, le 21 mars 2010, dernière représentation le 2 avril 2010. www.geneveopera.ch

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Photo : DR
 

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