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Compte-rendu - Sinfonia en Périgord - Révélations (et confirmations) belcantistes


Elles furent au-delà des Alpes l’une des spécificités du premier Baroque - celui, fondateur, du Seicento. Une réalité qui ne cadre guère avec l’idée que l’on se fait couramment d’une Italie sexiste où la femme a du mal à faire entendre sa liberté existentielle, autrement dit, sa différence.

En fait, le sujet était déjà, l’an passé, dans l’air du temps, puisque thème officiel de la 29ème édition du Festival d’Ambronay. Mais cet été, Sinfonia en Périgord, festival libre s’il en est, est revenu sur cette surprenante richesse de la musique au féminin chez nos voisins. Une richesse qui peut s’expliquer aussi par le fait que l’Italie, mère de toute modernité humaniste, vit alors une période prodigieuse qui, changera radicalement le décor légué par la Renaissance. Comme l’a très bien écrit Francesco Degrada, l’art musical tout entier prend alors, en quelque cinquante ans, comme un nouveau visage, « passant d’un concept encore médiéval à un modus operandi de forme et d’esprit totalement moderne ».

C’est le très inspiré Concerto Soave – repère majeur dans le réveil baroque – qui revisitait ce Canto delle Dame (allusion transparente au célèbre Concerto delle Dame, orgueil belcantiste de la Cour de Ferrare, au temps du duc Alphonse II). S’agissant d’une guirlande de portraits emblématiques dignes des grands initiateurs, tel Monteverdi, maître incontournable du stile nuovo. A toute star, tout honneur. La Vénitienne Barbara Strozzi, fille adoptive (ou naturelle) de Giulio Strozzi, librettiste et ami du Crémonais, y brillait avant toute autre, dévotement servie par le soprano ductile de Monique Zanetti qui préfère toucher qu’éblouir, ce qui a bien son avantage (le lamento Lagrime mie, joyau dans le genre « représentatif »). Mais d’autres noms fameux lui faisaient cortège, (presque) tous impliqués dans l’aventure des formes nouvelles. Ainsi la Florentine Francesca Caccini, dite la « Cecchina » (littéralement: l’atypique), talent tout à fait digne de son père, l’ombrageux Giulio, dans l’aria vrillant Lasciatemi qui solo ; ou la nonne de Milan Isabella Leonarda, pour sa part abîmée dans l’effusion mystique (sublime motet Iam diu dilecte mi Iesu). En tout cas, de précieux moments belcantistes se sont joués là, que Jean-Marc Aymes accompagnait à l’orgue ou au clavecin avec un instinct imparable et la complicité d’un trio de cordes (2 violons et gambe) habité par la grâce.

Le lendemain, dans la même Abbaye de Chancelade, écrin roman servi par une acoustique miraculeuse, le concert de l’ensemble Una Stella, également voué à la voix, se faisait soirée probatoire, suite à la défaillance de la soprano Blandine Staskiewicz, indisposée. Mais ce qui pouvait devenir désastre, tournait à la révélation éclatante de la Franco-algérienne Malia Bendi Merad (photo) qui recueillait un vrai triomphe dans ce remplacement au pied levé. Et pourtant, le programme entièrement baroque, ratissait large, de Porpora à Caccini, Monteverdi, Haendel et Boccherini, entre autres. Mais la voix de Malia a, en dépit de son jeune âge, pratiquement tout reçu en partage : la virtuosité, avec des aigus victorieux, un sens inné de la ligne de chant et de l’ornement où rien ne pose, ni ne pèse. En tout cas, l’italianité était à la fête, au point de faire oublier les mérites du fervent accompagnement instrumental, parfaitement coordonné de sa guitare baroque par le chef Philippe Spinosi (le frère de Jean-Christophe Spinosi, directeur du très médiatique ensemble Matheus).

Roger Tellart

26 et 27 août 2009

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Photo : DR

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